Risibles amours de Kundera. Laisser mourir ce qui a été
Cette semaine on change totalement d’univers, Mantak Chia et l’énergétique chinoise sont bien loin, et pourtant … Et pourtant, Milan Kundera, dans la nouvelle que je vous lis, touche au coeur de l’Automne, du Métal : pour que circule la Vie, il faut laisser mourir ce qui a été, et ne sera plus jamais.
Alors la Vie peut circuler, alors la Joie peut naître, car il n’y a ni regrets ni remords, seulement une vie à vivre, à l’instant.
Risibles amour de Milos Kundera en podcast
Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts
Bon, je vous situe un peu le contexte, là je commence par la fin. Donc, cette semaine, le livre qui s’est présenté c’est Risibles amours, de Milan Kundera. C’est un recueil de sept nouvelles, une oeuvre de jeunesse dans laquelle on trouve déjà toutes les thématiques que l’auteur questionnera tout au long de sa vie.
En ouvrant le livre au hasard, je suis tombée sur la nouvelle « Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts ». Ca, c’est du titre !
C’est l’histoire de retrouvailles fortuites entre un homme et une femme qui, quinze ans plus tôt, ont eu une brève aventure.
Elle était alors une femme mûre, dans la fleur de l’âge, au maximum de la sensualité et de l’assurance. Lui avait 20 ans, il était gauche et maladroit, le souvenir de leur première rencontre le hante toujours.
15 ans ont passé. Elle a vieilli, elle a quitté le « continent de la beauté ». Elle garde une apparence jeune, mais elle cache ses rides, ses cicatrices, elle s’est retirée de la vie et préserve l’image d’une jeunesse passée.
Lui a maintenant 35 ans, les cheveux qui commencent à tomber et des regrets plein sa besace. Il a peur de vieillir, et le bilan qu’il fait sur la moitié de la vie qui vient de s’écouler est assez minable.
Lâcher nos monuments, laisser mourir ce qui a été
Kundera interroge la peur de la vieillesse, de la décrépitude, les regrets et les remords. Au départ, ces personnages sont à la fois sur le souvenir de ce qu’ils sont, et l’impossibilité que quoi que ce soit se passe à nouveau entre eux. Car alors, le souvenir serait souillé, rattrapé par une âpre réalité : celle de la peau flasque, des seins qui tombent et des fausses dents.
Mais j’adore comment Milan Kundera fait finir cette histoire ! Ses personnages se libèrent. Ils lâchent leurs monuments, ces images d’eux qu’ils chérissent comme des monuments aux morts qu’il ne faut surtout pas toucher, de peur de les abîmer.
Elle n’a aucune raison de donner à des monuments la préférence devant la vie ; son propre monument n’a plus pour elle qu’une seule raison d’être : elle peut en abuser maintenant, pour le bien de son corps méprisé ; car l’homme qui est assis à côté d’elle lui plaît, il est jeune et c’est probablement (presque certainement même) le dernier homme qui lui plaît et qu’elle peut avoir, et cela seul compte ;
et si ensuite elle lui inspire du dégoût et ruine son propre monument dans sa pensée, elle s’en moque, parce que ce monument est en dehors d’elle-même, comme sont en dehors d’elle-même la pensée et la mémoire de cet homme, et rien ne compte de ce qui est en dehors d’elle-même.
extrait de Que les vieux morts cèdent la place aux jeunes morts, de Milan Kundera
et rien ne compte de ce qui est en dehors d’elle-même.
Voilà la leçon de cette nouvelle. Voilà aussi le cadeau de l’Automne.
Laissons mourir ce qui a été, ce qu’on a rêvé, nos rêves, nos espoirs, nos triomphes et nos échecs. On a fait de nos rêves, de notre histoire personnelle, des monuments, des trophées, des objets qui sont en dehors de nous-même, plus du tout actualisés avec notre énergie présente.
Laissons les mourir si nous voulons vivre. Sinon, telles des poupées de cire, nous regarderons la vie passer sans jamais y participer. Alors lâchons nos images d’épinal, et plongeons en nous-mêmes.
Bel automne à tous, belle plongée en vous !
Charlie