Le voyage à Ixtlan – Chapitre 1 (à suivre) – étude de texte
Une étude de texte autour du livre de Castaneda « Le voyage à Ixtlan ». Ce travail de relecture en duo est à la base un travail interne au collectif LA PASSERELLE mais nous trouvons intéressant de compléter cette pratique par une exposition publique. Notre binôme se penche donc sur « Le voyage à Ixtlan » et nous vous proposons dans cet article les points les plus saillants et les pistes de travail que nous allons suivre pour les premiers chapitres.
Au fur et à mesure de notre progression dans sa lecture nous vous proposerons des mises à jour de l’article pour que vous puissiez vous aussi partager vos propres retours sur le précurseur du « voyage définitif » car c’est bel et bien ce que vit Don Genaro dans son récit final.
PROGRESSION DU LIVRE : chapitre 1
Le voyage à Ixtlan est le troisième livre de Carlos Castaneda, après « l’herbe du diable et la petite fumée » (1) et « Voir, les enseignements d’un sorcier Yaqui » (2). Celui qui allait devenir un auteur et un anthropologue américain sujet à de nombreuse controverse (3) continue son dialogue, ou peut-être est-ce un monologue ?, avec son nagual, le vieux mexicain, sorcier ou alcoolique, réel ou imaginé, Don Juan Matus.
Le second opus de la « saga » initiatique de Castaneda, VOIR, se finissait par la sentence de Don Juan Matus au jeune Carlos « En toi rien n’a vraiment changé. » voyons si dans ce troisième volet, « le voyage à Ixtlan » l’universitaire suffisant, récalcitrant, prétentieux, égocentrique, paresseux et suffisant qui sommeille en chacun de nous a franchi le pas, et a commencé à « vraiment » changer.
Quelques précisions sur cet article
Avec cette « étude de texte », on va faire se rencontrer la vision d’un « jeune » qui n’a lu qu’une fois ou deux le livre et un « vieux briscard » qui l’a potassé et détaillé pendant déjà de longues heures. Une synthèse, un nouveau point de vue en ressortira. Cette nouvelle position de lecture et d’analyse ne sera jamais exhaustive et n’est qu’une interprétation à un moment T par des individus G de l’immensité du chemin cognitif que nous propose d’arpenter Carlos Castaneda.
Ne prenez donc pas ces / ses mots pour des vérités, mais simplement comme des points sur le sentier de votre voyage définitif.
Le voyage à Ixtlan chapitre 1
Dans l’introduction du voyage à Ixtlan et le premier chapitre, Castaneda aborde la notion de « stopper le monde » et nous livre bon nombre d’informations à ce sujet si on veut bien les décortiquer. En fait, l’ensemble du livre va parler de cette notion. Mais pour « stopper le monde », on est obligé de commencer par parler de ce qu’on appelle le monde, notre réalité.
Les mots clés : DESCRIPTION – FLUX D’INTERPRÉTATIONS – ADHÉSION – EFFORT CONSTANT
Castanada nous explique que depuis notre naissance nous avons était gavé d’une et une seule description de la réalité (on va l’appeler description N°1). Un arbre c‘est ça, un homme c’est ça, le bleu c’est ça, etc. Cette description est devenue LE MONDE que nous connaissons et il ne tolère aucune autre description. Mais pour les sorciers, il y a une autre description, Don Juan l’appelle « la description selon la sorcellerie » (on va l’appeler description n°2).
- La description N°1 est finie, elle est pleine de petites cases dans lesquelles on peut tout ranger. Elle est donc très limitée.
- La description N°2 est infinie, elle n’a pas de limites.
Pourquoi et comment la description N°1 est devenue l’alpha et l’omega :
Parce qu’on nous la martèle sans cesse depuis notre naissance et parce que tous les gens autour de nous s’accordent sur cette description. Si des fois on a l’audace de sentir un truc différent et de l’exprimer c’est folie, hospice, HP. Regardez, quand un évènement, quelqu’un ou quelque chose vient briser la continuité de cette description, on s’empresse de la rattacher à la description N°1.
Dans le voyage à Ixtlan Don Juan montre comment on plie le monde pour faire rentrer ce grain de sable dans notre description, pour qu’il ne vienne pas gripper les rouages, pour qu’il ne vienne pas ébranler nos certitudes, notre réalité. On ne voit même plus que c’est un effort mais c’en est pourtant bien un pour maintenir ce que l’on nomme réalité en place. Donc, à force de répétitions, la description devient notre RÉALITÉ.
Mais ce n’est pas que ça et en fait. La prédominance de la description n°1, du monde finie, limité est juste la cause mais pas la raison.
A un moment donné, dans les 3 premières années de notre vie, nous avons ADHÉRÉ à cette description. Nous avons choisi de choisir et d’agir pour, par et dans cette description finie. Certes c’est une question de survie mais il faut bien comprendre que c’est de notre responsabilité d’avoir adhéré et d’adhérer encore à la description du monde la moins riche et la moins ouverte.
Don Juan parle d’un continuel flot d’interprétations perceptuelles pour maintenir cette 1° description. Un continuel flot, ce n’est pas un petit fil d’eau. On ne nous décrit pas cette réalité une fois, en passant. On nous inonde en permanence, en flux continue d’interprétations pour que nous adhérions à cette description.
C’est là où ça devient intéressant. On est consentant, on prend notre carte d’adhérant, parce qu’on a quelque chose à y gagner : faire partie de ce monde, être intégré. C’est valable quand on est nouveau-né, mais beaucoup moins dès l’instant où l’on devient autonome.
Hélas la description limitante de la réalité est déjà devenu la seule référence, elle est déjà devenu, elle aussi, autonome et n’est plus que la seule description envisageable et même imaginable ! La description n°1, la vision limitée du monde est devenu la seule et l’unique, notre précieux.
Résistances au changement de description :
En cheminant sur ce sentier et en relisant « Le voyage à Ixtlan » on a vraiment senti que la première grosse résistance à accepter qu’il y a d’autres descriptions est le fait qu’on ne veut pas voir que nous avons adhéré et adhérons par chacun de nos actes à cette 1° description.
« Et la notion de « stopper le monde », vous en parlez pas c’est quand même le thème central du voyage à Ixtlan ?! »
Non, on va pas en parler. Pourquoi ? Simplement parce que la tendance première c’est de penser que « stopper le monde » est quelque chose qui nous tombe dessus au coin de la rue. Mais vous imaginez la quantité d’efforts constants qu’on a du déployer depuis notre naissance pour maintenir cette description N°1 en place ? Alors pour « stopper le monde », pour apprendre une nouvelle définition… ça va nous demander un sur-effort permanent et sur du long terme !
En plus, cerise sur le gâteau, contrairement à la description N°1 qui nous rapporte quelque chose : appartenir à, faire partie de ce monde, là, dans « stopper le monde », notre JE n’a rien à gagner. On a même tout à perdre à accepter la description n°2 et donc à « stopper le monde ». Fini les illusions de sécurité ou de confort, bye bye notre santé mentale et l’illusion de contrôler ou de liberté de choix. C’est décidément pas très vendeur et il faut que vous ayez bien en tête ce paramètre avant de vouloir « stopper le monde ».
Avant de s’occuper à « stopper le monde », avant de de vouloir être arrivé avant même d’avoir commencé et de recevoir l’illumination sur votre canapé dans un colis amazon sachez ou vous aller, « remonter vos chaussettes et arretez vos branlettes » ! En gros oubliez la notion de « stopper le monde » et bossez !
Si vous êtes complètement fous et que vous voulez tenter l’aventure, sachez que ça va vous demander des efforts acharnés et aucune certitude d’y arriver. Alors non, on ne va pas parler de « stopper le monde » parce que l’important pour nous aujourd’hui n’est pas d’être déjà dans la description n°2 mais de comprendre, sentir, intégrer pleinement, de manière concrète et quotidienne que LA RÉALITÉ N’EST QU’UNE DESCRIPTION. Stopper le monde viendra juste après, mais après !
D’ailleurs Don Juan parle de la débrouille de Castaneda pour ne pas adhérer à une autre description. Que ce soit par l’esquive, le contre, la plainte… ça me rappelle bien ce que l’on fait tous quand on s’accroche à cette description N°1, quand on essaie de garder des bouts de cette description pour ne pas complètement perdre les pédales, pour nous rassurer, pour pouvoir continuer à nous définir en tant que Je.
Soyons claires, la description N°1 n’est ni bonne, ni mauvaise, elle est simplement réduite et surtout finie. Comme si le flux et le mouvement avait été réduit à un petit flux dans un tuyau et que l’on croit que le TOUT c’est ce qu’il y a dans ce tuyau.
Cette description N°1, on doit la connaître, l’analyser, en explorer tous les coins et recoins. On peut appeler cette exploration de la description de notre réalité ou faire l’inventaire du tonal. Cette description n°1 comprend entre autre, notre JE (4) qui est, comme tout le reste, juste une description.
Le but n’est pas de jeter cette description, le but est d’en faire le tour, le but est de l’embrasser. Et tout comme pour l’inventaire de l’ile du tonal, on doit le faire, non le vénérer.
Chaque petite bribe qui fait partie de la description N°1 doit être vue. Chaque fois qu’on se dit « je suis comme ça », chaque fois qu’on se dit « c’est comme ça ». Chaque fois qu’il y a un « Je Veux », un « il Faut », un « c’est impossible », on est dans la description N°1. L’effort qu’il nous a fallu pour apprendre et intégrer cette première description, pour se plier et rentrer dans les cases de cette description, il va falloir déployer le même effort pour connaître cette description N°1.
Et n’oubliez pas, c’est un flot continuel qui maintient cette description. Ça ne s’arrête pas pendant le film, ça ne s’arrête pas pendant que vous dormez, ça ne s’arrête pas pendant que vous êtes en vacances. C’est un flot continuel. Et à ce flot continuel, on va être obligé de répondre par un EFFORT CONSTANT. Un effort constant pour connaître cette description première, ce que l’on appelle depuis le berceau notre réalité.
Le voyage à Ixtlan chapitre 2
… à suivre
Jane et mademoiselle Wu
Liens & infos autour du livre « le voyage à Ixtlan »
- Télécharger les livres de Castaneda au format pdf grâce à ARCHIVE.org.
- VOIR AUSSI la fiche wikipédia autour de « Le voyage à Ixtlan »
- Un groupe de travail autour de Castaneda en français sur Facebook (ce n’est pas nous)
- L’herbe du diable et la petite fumée – volume 1 des récits de Castaneda
- Voir (les enseignements d’un sorcier Yaqui) – volume 2 des récits de CC.
- Controverse autour de Castaneda on l’aime, on le déteste ou on le méprise. Des livres « inspirés » ou des fadaises relevant de la SF et de la mythomanie à vous de choisir votre vision de cet auteur dans tous les cas La vérité n’existe pas.
- JE est un autre, la construction psycho sociale du JE – les routines pour construire le JE
Sympa de nous partager votre lecture.
Une première remarque:
Pour déstabiliser la prégnance de la description numéro 1 il y a les drogues, ça demande pas beaucoup d’effort. Le pouvoir de suggestion d’un récit peut aussi faire le job. Dans tout les cas, on est sous influence. Mais chaque chose qui nous « touche » nous influence même un coucher de soleil sur la Camargue.
La description numéro 2 est infinie ? Sans limite ? C’est possible ça ?
Dans ce cas, peut-on parler encore de description ?
@julian
Merci pour ton commentaire.
Tout à fait d’accord avec toi, les drogues permettent d’ouvrir une fenêtre pour voir qu’il n’y a pas que la description n°1 qui existe. Toute la difficulté est de retrouver cette fenêtre sans la substance. Mais d’ailleurs quel intérêt de retrouver cette fenêtre sans substance ? Je crois que je me méfie pas mal des « cadeaux » sans prix à payer. Comme tu dis : »les drogues, ça demande pas beaucoup d’effort » et je crois que je suis une laborieuse, une adepte de l’effort parce que je crois que notre cuirasse et les planeurs sont très friands du moindre effort.
« C’est une très bonne question et je vous remercie de me l’avoir posée » (voir l’excellent sketch de Desproges qu’on m’a fait découvrir il y a peu : Les poulpistes de France) à mon sens, la description n°2 est sans limite, mais ça reste bien une description. Ce n’est pas ce que dit Don Juan dans l’édition folio p16 du Voyage à Ixtlan :
D’après Don Juan, la condition préliminaire pour « stopper le monde » était qu’il fallait se convaincre, c’est à dire qu’il fallait apprendre intégralement la nouvelle description dans le but précis de la confronter à l’ancienne jusqu’à parvenir à ébrécher la certitude dogmatique que nous partageons tous, à savoir que la validité de nos perceptions, notre réalité du monde, ne doit pas être mise en question.
« Apprendre intégralement la nouvelle description », ça voudrait donc dire que c’est une description « finie », mais je n’arrive pas à la voir « finie » et c’est vraiment un avis personnel, je n’ai pas de réponse certifiée. Un peu comme l’univers, je n’arrive pas à le voir fini, des bouts meurent, des bouts se transforment, des bouts apparaissent. C’est certainement le mouvement constant qui me donne la sensation que c’est infini.
Et ce qui fait que ça reste une description, c’est à mon sens (encore une fois avis personnel), le fait que ce soit organisé, le fait qu’il y ait de la structure, le fait que ce qui n’est pas la description n°1 a une réalité. Donc qu’elle peut être décrite. Pas avec des mots, j’en conviens, mais avec des sensations, des sentiments.
Pas évident de parler de la description n°2, c’est bien pour ça qu’on a surtout fait le point de mire sur la description n°1. Pas par flemme, mais parce que les mots ne sont pas franchement adaptés. Et puis, en lisant Castaneda, on a tous recherché cet accès au magique, rêvant d’une illumination, de « stopper le monde » comme qui rigole, et on a voulu faire ressortir le sur-effort nécessaire pour voir la description n°1, parce qu’elle ne se laisse pas voir facilement et qu’elle se cache dans bon nombre de recoins.
@jane
« L’alternative des sorciers » est déjà contenu dans l’énoncé: le monde vue comme description et non comme donnée objective. N’est-ce pas de cela dont il faudrait se convaincre ? Vous le dîtes dans votre article.
Mais la description 2, aurait-elle la vertu de décrire le monde dans sa réalité… objective ? Non, bien sûr. Une infinité de monde possible et autant de descriptions (pour autant que l’on puisse réellement décrire les « autres mondes » avec nos concepts). Sa vertu principale doit être, éventuellement, de concurrencer la validité de la description 1 pour la faire vaciller et ainsi faire admettre a notre esprit, gavé de certitude, que le monde est une représentation qu’il construit en permanence. Je décris ce que je vois, ce que je touche, ce que je goute… et en faisant cela ma pensée construit le monde avec les mots, à chaque instant je fais usage d’un inventaire hérité et/ou acquis. Si ces « briques d’imaginaires » sont d’un coup déconstruites, le monde quelles permettent est stoppé (momentanément).
Les anciens chercheurs de connaissance « détruisaient » la représentation de leurs disciples, déconnecté leur moi-conscient pour rendre le sujet plus impressionable et souffler en eux leur propre pouvoir… une sorte de nouvelle description. Mais je ne pense pas que c’est le chemin de Don Juan ou du moins ce n’est pas cela que j’ai choisi de retenir. Son objectif est la liberté, il ne propose pas à Castaneda de devenir un chaman.
Finalement l’invitation est de retrouver une relation plus complète avec le monde, le toucher « du dedans » ou l’apprécier comme sensation et non (exclusivement) comme description.
Je pense que cela rejoins votre approche.
ha mais y en a un à payer et il est exorbitant = notre énergie vitale!
sans parler du piège du moindre effort qui est redoutable. Mais hélas parfois on est tellement bouché qu’il faut en passer par là pour décoller suffisamment notre point de sa position d’origine. Et encore le simple fait de la substance ne suffit pas il faut l’outrance, l’excés et une intention inflexible soit du MC soit de l’Intention elle même
– donc autant dire que le pétard récréatif mis à part ses capacités d’abrutissement, d’auto illusionne-ment et de pompage de l’énergie Rate & VB il t apporte que dalle).
– donc si on veut que ça marche y a un effort monumental à faire = aller jusqu’au bord de la falaise et ne pas sauter mais surtout porter en soi tyoute sa vie le fait qu’on a pas sauté
Pour moi la réponse et dans ce que tu dis en dessous « le mouvement constant » c’est cette partie là qui est à apprendre quand au terme DESCRIPTION il ne veut pas dire définition mais juste description. La ou la première attention crée un cadre rigide, limité, DEFINIT, la seconde attention ne peut être qu’évoquer, décrite mais pas définit
Pour ce qui est de la recherche de « stopper le monde »
si y en a que ça intéresse j’ai une méthode peu onéreuse, bonne pour le climat et super efficace… corde, parpaing, océan, glouglou et 3 minutes plus tard le monde est stoppé. Truc cool c’est qu’il y a plein de variante possible
Plus sérieusement et poétiquement aussi, pour moi stopper le monde nécessite énormément d’énergie pour se détacher du tempo du monde humain, de la définition qu’on nous a donné.
Le retrait, l’isolement ne sert pas à grand chose puisque c’est stopper un « pas cadencé » en nous et autour de nous (des expériences de psycho sociologie faites sur une foule en marche sont super intéressante)
L’astuce c’est d’arriver à ralentir tellement que le monde s’arrête, le brouhaha s’arrête. Le monde global (description 2 ???) continue d’être mais dans ce monde le paradoxe est possible donc notre arret nous fait accélerer et permet d’avoir suffisamment d’énergie – de vitesse pour faire face au mur de brouillard.
Après pour ce qui est de traversé ce mur de brouillard il faut encore plus d’énergie et perso je peux pas l’évoquer.
voilà j’espère que ça peut servir et permettre de rebondir (boing)
Bonjour et merci beaucoup pour cette explication.
Le passage « Chaque petite bribe qui fait partie de la description N°1 doit être vue. …….Un effort constant pour connaître cette description première, ce que l’on appelle depuis le berceau notre réalité. » est très parlant pour moi, cela revient à mon sens à être consciente de plus en plus de la réalité construite dans laquelle on évolue. j’ai bien sûr des moments de prise de conscience de ce que je suis mais je n’aurais pas poussé jusqu’aux expressions type comme « c’est comme ça » etc… Je suis très axée sur les émotions et le ressenti mais je ne fais pas plus que ça attention aux conneries que je sors..très instructif 🙂 merci beaucoup.