Au quatre coin du monde il y avait une source. Auprès de chacune d’elle veillait un gardien. Il était là en permanence pour éloigner les esprits taquins qui s’amusaient à y jeter des pierres et risquaient de la boucher.
La première source était à L’ouest. Elle donnait l’eau bleutée et limpide. Sa pureté transparente jaillissait des profondeurs et ruisselait sur le sable blanc comme une lave de cristal. Elle glissait doucement. Chuchotant sur le fond un conte musical porteur de pensées du centre de l’univers.
L’homme qui la protégeait était le philosophe. Il faisait tout très bien, mais ne pouvait pas s’éloigner un instant. Le gibier lui manquait et il connaissait la faim. Aussi était-il dans l’embarras et devenait de jour en jour un peu plus sombre et taciturne.
(Note perso: Dans la tradition Toltéque c'est l'homme des coulisses ou l'homme sombre à l'ouest)
Au sud se trouvait la seconde. Un blé brillant et doré en débordait sans cesse. Son grain blond et charnu répandait une bonne odeur de céréale fraîche et appétissante. Il s’entassait là, abondant, formant de belles collines odorantes qui luisaient de santé. C’était une preuve de la bonté généreuse de la terre.
Un personnage mystérieux y prenait garde, sans jamais se lasser. Il acceptait sa servitude. Pourtant il souffrit d’une incomparable solitude. Il ne laissait plus rien percer de lui-même, soucieux de rencontrer quelqu’un avec qui partager les élans de son âme.
(NP: L'homme nagual chez les Toltéques occupe la maison du sud mais aussi le centre en couple avec la femme nagual qui n'apparaît pas dans ce conte)
A l’est, entre les pieds d’un chêne, goutte à goutte perlait la troisième. Elle puisait la sagesse et la connaissance dans les entrailles maternelles du monde. A ses pieds, tout n’était que silence et recueillement. Un doux reflet ambré nappait toute cette région d’une buée de rêve et d’une vague de bien-être.
L’érudit la défendait. C’était un être noble et serein. Du levant au couchant, du crépuscule à l’aurore, il se consacrait à sa tâche. Mais il aurait aimé s’assurer que quelqu’un de confiance puisse prendre le relais quand ses forces s’épuiseraient. Le désir de garantir la sauvegarde du lieu le hantait.
(NP: Pareil chez les toltéques: l'érudit à l'est.)
La dernière de ces quatre sources était au Nord. Constante et régulière, elle déversait la force et le courage. Elle distribuait sa sève qui prenait racine dans le cœur de vrais guerriers, simplement, avec humilité.
L’homme d’action la surveillait sans répit. Il n’abandonnait pas son devoir, contraint à souffrir du froid, tout au long des nuits glacées. Il ne pouvait s’absenter pour ramasser du bois et devenait d’humeur changeante et capricieuse.
(NP: encore pareil dans les livres de castaneda, l'homme d'action au nord )
Ce n’était plus possible. Le froid, l’ennui, la faim, le souci rongeaient ces malheureux. Le suprême magicien qui les commandait s’isola pour réfléchir, au sommet d’un eucalyptus enchanté.
Le vent l’aperçut :
« Offre-leur quelque chose pour les soutenir et les émerveiller », lui cria t-il.
Alors le magicien découpe dans la montagne un bloc de marbre satiné. Il modela des formes rondes et accueillantes, dessina un ventre, un dos. Avec deux rameaux de bouleau, il fit des jambes minces et agiles. Il ramassa dans le lit du fleuve des perles nacrées, pour faire briller les yeux. Avec les plumes de l’aigle argenté, il composa une abondante chevelure et unifia la peau douce et blanche avec les cendres du foyer.
D’une mangue juteuse, il tira des lèvres charnues et souriantes, sur lesquelles il colla sa bouche pour y insuffler son haleine et l’éveiller à la vie.
Une fois terminé, il habilla ce corps d’un tissu aux trames d’or et de vermeil, orna ses chevilles et ses poignets de bracelet étincelants qui teintaient doucement à chaque mouvement.
Elle sentait l’orange et la pêche. Il anima son âme et la laissa forger son caractère. Elle choisit le sentiment, la réflexion intérieure. Elle se voulut rusée, sournoise et malicieuse.
On la confia au faucon qui devînt son animal protecteur et ne la quitta plus.
Le suprême venait de créer la femme de l’ouest.
Il souhaitait que toute soit différentes.
Il tailla celle du sud dans une pièce d’ivoire, ajusta les ailes cuivrées d’une perdrix pour lui tisser des cheveux soyeux. Son visage fut sculpté dans une coquille de jade rose, illuminé d’un regard volé aux lucioles de la nuit.
Elle s’enveloppa d’une étoffe décorée de rayons orangés du couchant, ajustée sur sa taille par une ceinture en tresse d’argent imprégnée de jasmin. Un lion des montagnes pris place à ses côtes, tandis qu’elle se laissait connaître sous un aspect timide, humble et réservé, mais elle était aussi bruyante et prodigue. Elle symbolisa la croissance, l’être effacé qui protège et nourrit.
La suivante fut l’ordre. Son naturel optimiste la rendait douce et légère. Ses yeux étaient turquoises. Des pierres précieuses multicolores se fondirent pour faire naître sa chair. Le grand ara bleu lui confia son plumage, pour garnir son front et couvrir ses épaules.
Habillé d’une toge sertie de perle de rosée, elle portait des colliers de corail mauve. De sa gorge s’évadait un rire mélodieux.
Accompagnée du coyote, elle s’apprêtait à partir pour l’est, tenant à la main une poterie ou brulait de l’encens.
Dans un pain d’ambre blond, le créateur cisela le corps de celle du nord. Avec l’écaille transparente, il façonna ses cuisses et ses bras. Des coquillages moirés coloraient ses joues d’albâtre. Au fond de ses pupilles palpitantes, il lança des étoiles ; il gonfla sa poitrine d’un souffle indomptable. Elle secouait une crinière sombre saupoudrés d’émaux rutilants qui tombaient sur ses hanches, tandis qu’on loup, plus noir que les ombres, se glissait contre elle.
Fertile en ressources, étincelante de vigueur, elle était la force agressive et directe, vêtue d’une somptueuse robe pourpre d’une admirable finesse, ourlés de fil d’or et constellée d’émeraudes. Elle portait à son coup la splendeur d’un caillou de diamant et répandait autour d’elle une odeur de vanille sauvage.
Toutes étaient merveilleusement belles et attirantes. Comme elles attendaient pour se mettre en rouge, la Lune prenait sa place sous la voute pailletée. Elle appela les femmes qui levèrent la tête cherchant qui les nommait ainsi.
« Vous êtes les quatre orients qui soutiendront le monde, dit-elle. Vous déciderez la couleur du futur suivant vos humeurs et vos personnalités. Vous régnerez en maitresses, apportant l’espoir, la joie et le repos. »
L’astre s’approcha et remis à chacune un présent :
Pour l’occident une racine nourrissante solide et généreuse : le manioc pour calmer la faim de celui qui attendait l’estomac vide.
Pour le Midi, une immense chaleur, un tressaillement qui brûlait au creux du torse, un frisson qui consumait les entrailles : l’amour pour l’être qui se mourrait de triste solitude.
Pour le grand Est, le cadeau fut un long panier en osier, tressée avec soin, orné de grelots : un berceau pour accueillir l’enfant de l’homme qui voulait assurer la continuité de sa présence.
Auprès de celle qui allait s’asseoir au septentrion, la lune déposa une boule blanche duveteuse et chaude : le coton pour celui qui tremblait au sein des ténèbres glacées.
La distribution achevée, le vent se présenta au dames ; il se montra galant, presque charmeur, fit danser la pluie, s’agenouiller les fleurs, virevolter les feuilles en un ballet frivole, joua de la flûte au creux des roseaux, leur tissa un manteau de fraicheur contre la fièvre du soleil.
Elles se distrayèrent du spectacle séduisant, et conquises, se laissèrent emporter, escortées de leurs animaux protecteurs. Ces derniers étaient venus des niveaux supérieurs, de la zone des déserts jaunes, entre la vie terrestre et les espaces éternels.
Une bourrasque emporta la première femme. Elle plana à contre-jour, de longues heures avant d’atterrir auprès de la source d’eau claire. Elle tendit le manioc au penseur ; surpris, il dévora la nourriture et, satisfait, installa son épouse auprès de lui.
Une brise tiède et bienfaisante en enveloppa une autre, et la déposa sur une colline de blé. Elle enlaça l’homme et le combla de sa passion. Il ne la quitta à plus à partir de ce jour.
La suivante fut soulevée insistante qui l’a fit tournoyer jusqu’au soir pour, enfin, la présenter au gardien de la connaissance. Elle accrocha le berceau sous le toit de sa case et lui promit de réaliser son souhait.
Une brise violente et tenace arracha la dernière du sol. Elle traversa le crépuscule, guidée par la parole de l’esprit du ciel, jusqu'à la fontaine du courage. Elle se mit à filer son coton. Un personnage émerveillé se blottit contre cette compagne.
Avant de quitter chacune des voyageuses, le vent majestueux, plein de reconnaissance pour leur dévouement leur proposa une alliance enchantée.
« Pour toutes les générations à venir, toutes les femmes qui peupleront le monde représenteront l’un des quatre point cardinaux, déclara t-il. A chaque direction sera allié un vent particulier. De l’orient viendra le souffle du matin, A midi, une bouffée tiède montera du sud. La brise taquine de l’occident envahira l’après-midi. Le soir, surgira l’intrépide nordique.
Le pouvoir magique habitant une femme lui permettra de déterminer quel est son allié, celui qui l’épaulera tout au long du chemin de son existence.
Ainsi depuis ces temps, filles, sœurs et épouses ont un compagnon secret pour les soutenir et les servir.
Mais beaucoup, Hélas ! L’ont oublié ».
Voilà 🙂