Harmonie, Autonomie, Respiration, Action

Conscience @ Un autre regard

Station eleven, un roman d’anticipation impressionniste

Trois coups de bâton. Une pause. Trois autres coups, le spectacle commence. STATION ELEVEN de Emily St. John Mandel s’ouvre sur une scène du Roi Lear dans un théâtre. Le décor du roman se pose très vite. Nous sommes dans un univers post apocalypse sans apocalypse !

Loin des jugements et des codes de la SF, l’auteure pose son “et si…”. Elle nous fait voyager, grâce Ă  l’omniprĂ©sence de l’Art, entre un monde 20 ans après la catastrophe et notre monde d’ici et maintenant. C’est beau, troublant, dĂ©rangeant… Ă  lire donc !

Station Eleven, de Emily Saint John Mandel

Dès le début du roman, nous sommes immédiatement plongés dans une époque qui ressemble trait pour trait à la nôtre mais où le récit de 6 vies se mélange entre leur présent et leur vie dans un monde déjà disparu.

Emily St. John Mandel dĂ©bute STATION ELEVEN sur une pièce de théâtre. Le rideau s’ouvre et nous dĂ©couvrons rapidement que notre monde actuel est devenu un univers “post-moderne” basĂ© sur cette uchronie : et si

Et si … une Ă©pidĂ©mie de grippe tuait la moitiĂ© de l’humanitĂ© ?

Dans STATION ELEVEN, le monde que nous connaissons aujourd’hui n’existe plus : internet, l’électricité, l’eau courante, les véhicules à moteur, tout a disparu suite à une épidémie de grippe qui a décimé une grosse partie de la population mondiale.

Pourtant ce n’est pas cette partie lĂ  que l’autrice va exploiter mais bien plus comment l’Humain, l’Art, la Vie continue toujours, malgrĂ© tout, Ă  suivre son chemin.

STATION ELEVEN l’absence pour dĂ©crire

Emily St. John Mandel ne fait pas de longue description de cette sociĂ©tĂ© post-apocalyptique. D’ailleurs la catastrophe n’est au final qu’un prĂ©texte.

En fait, le seul passage dĂ©taillant explicitement cette version de demain se retrouve dans un extrait Ă  la cinquantième page. Et c’est Ă  travers l’absence que nous dĂ©couvrons ce qu’est devenu ce “nouveau” monde.

Plus d’internet. Plus de réseaux sociaux, plus moyen de faire défiler sur l’écran des litanies de rêves, d’espoirs fiévreux, des photos de déjeuners, des appels à l’aide, des expressions de satisfaction, des mises à jour sur le statut des relations amoureuses grâce à des icônes en forme de coeur- brisé ou intact -, des projets de rendez-vous, des supplications, des plaintes, des désirs, des photos de bébés déguisés en ours ou en poivrons pour Halloween.

Plus moyen de lire ni de commenter les récits de la vie d’autrui et de se sentir ainsi un peu moins seul chez soi. Plus d’avatars.

STATION ELEVEN

Tout le dĂ©cor du livre se fait par des trames, ambiances et impression. On dĂ©couvre le monde post apocalyptique de STATION ELEVEN Ă  travers les 6 vies qui s’entremĂŞlent entre elles et entre leur monde passĂ© et celui qu’elles ont Ă  vivre.

Elle nous amène au coeur de cette pandémie par petites touches. Elle nous la fait ressentir de l’intérieur. On passe sans cesse de l’ancien au nouveau monde, sans aucun misérabilisme, ni jugement.

Il y a un fort contraste entre une planète d’opulence, surchargée d’êtres vivants et d’objets en tout genre, notre ici, et une planète semi-désertique, toujours encombrée des “restes” de l’activité humaine passée.

Emily St. John Mandel dĂ©roule la vie des humains dans ce monde oĂą nos prĂ©occupations actuelles liĂ©es Ă  un système socio-Ă©conomique n’ont plus de sens. Que leur reste-t-il ?

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Illustration Hallie Sheperd

L’Art survit aux dĂ©sastres

On entre dans STATION ELEVEN par le biais d’une scène de théâtre. Et c’est Ă  travers l’Art que nous allons dĂ©couvrir ce “nouveau” monde. Nous suivons la vie d’une troupe d’artistes musiciens, comĂ©diens et plasticiens, “La symphonie itinĂ©rante”, dans leur voyage entre les deux mondes.

C’est par l’art de Kirsten et Arthur, les deux comĂ©diens, le dessin & la peinture qui sont au centre de la vie de Miranda et la musique que nous dĂ©couvrons ce que pourraient devenir nos vies.

Curieusement, l’art musical est omniprésent sans vraiment être incarné. Les musiciens de la troupe sont des personnages plus secondaires mais la Musique, par contre, forme la trame de fond tout au long du récit.

Vingt ans après le cataclysme, ils voyageaient toujours, longeant les rives des lacs Huron et Michigan jusqu’à Traverse City à l’Ouest, puis vers le nord-est, franchissant le 49e parallèle en direction de Kincardine.

Ils suivaient la rivière St. Clair, au sud, jusqu’aux villages de pêcheurs de Marine City et d’algonac, puis revenaient à leur point de départ.

Ce territoire, dans l’ensemble, était aujourd’hui paisible. Ils ne faisaient que de rares rencontres, principalement des colporteurs qui transportaient leur bric-à-brac d’une ville à l’autre.

La Symphonie jouait de la musique – classique, jazz, arrangements pour orchestre de chansons pop d’avant la dĂ©bâcle – et du Shakespeare.

Les premières annĂ©es, il leur Ă©tait arrivĂ© de jouer davantage de pièces contemporaines, mais le plus Ă©tonnant, ce qu’aucun d’entre eux n’aurait imaginĂ©, c’Ă©tait que le public semblait prĂ©fĂ©rer Shakespeare aux autres oeuvres de leur rĂ©pertoire.

STATION ELEVEN, roman impressionniste.

Un lien existe entre les diffĂ©rents personnages, ils se croisent au prĂ©sent ou se sont connus dans le passĂ©. On apprend peu Ă  peu Ă  les connaĂ®tre, on les dĂ©couvre par leurs actions, par leurs pensĂ©es. Beaucoup de zones restent dans l’ombre. STATION ELEVEN n’est pas un livre descriptif mais plutĂ´t subjectif. 

Ce qui intéresse Emily St. John Mandel, ce ne sont pas les faits mais bien plus les sensations. Un roman de science fiction plus impressionniste que réaliste, donc.

Elle veut nous faire ressentir, et non pas comprendre, comment ce “nouveau” monde a pu voir le jour en partant de notre monde actuel.

A travers ce roman d’anticipation, Emily St. John Mandel nous donne Ă  rĂ©flĂ©chir. Elle nous montre ce que nous ne voyons plus : l’immense confort dans lequel nous vivons. L’Ă©normitĂ© de la machinerie qui nous berce dans notre quotidien.

Elle n’Ă©met pas de jugement, ne prend pas de position morale. Simplement elle met en perspective notre quotidien en enlevant ce que nous ne voyons plus tellement c’est devenu “banal”.

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Illustration Shelley Chapman

Emily St. John Mandel ouvre nos yeux sur notre quotidien

Un des personnages, Clark, a été ami avec Arthur, le comédien, quand ils étaient adolescents. On le croise souvent, mais surtout juste avant l’effondrement de l’ancien monde où il prend conscience de l’absurdité de sa vie :

Arthur avait-il remarqué que Clark était un somnambule ? En parlait-il dans ses lettres à V. ?

Parce que, de fait, Clark avait bel et bien été un somnambule, menant sa vie routinière dans un demi-sommeil depuis déjà un moment, depuis des années.

Il n’était pas spécifiquement malheureux, mais quand avait-il éprouvé pour la dernière fois un réel plaisir dans son travail ?

Quand avait-il été pour la dernière fois sincèrement ému par quelque chose ?

Depuis quand n’avait-il pas ressenti d’admiration, d’inspiration ?

5 personnages et un vilain prophète…

Pour ceux qui ont suivi, STATION ELEVEN nous emmène dans la vie de six personnages principaux. Pourtant je ne vous ai citĂ© que cinq prĂ©noms : Clark, Kirsten et Arthur (les comĂ©diens), Jeevan, Miranda (la peintre)… Il en manque forcĂ©ment un.

C’est celui dont on n’a pas vraiment envie de parler. Le personnage essentiel, celui qui dĂ©range, qui fait peur. Le “mĂ©chant” auquel personne ne veut s’identifier.

Il s’appelle le Prophète…

Mais pour savoir ce qu’il en est du monde de STATION ELEVEN, des 5 artistes et du “mĂ©chant” Prophète, je crois que le mieux est de vous ruer chez votre libraire ou de l’appeler pour qu’il commande ce roman.

Pour ma part, j’ai aimĂ© l’univers “entre deux” dans lequel nous ballade Emily St. John Mandel. Si vous voulez partir Ă  la dĂ©couverte de la Symphonie itinĂ©rante, du docteur Eleven, du Roi Lear, de l’aĂ©roport de Severn City, d’Arthur, Clark, Kirsten, Jeevan, Miranda et de bien d’autres choses encore….

Pourquoi lire STATION ELEVEN ?

Alors que dire sur STATION ELEVEN de Emily St. John Mandel pour vous donner envie de le lire ? Peut-ĂŞtre vous prĂ©ciser que je ne suis pas forcĂ©ment fan de roman SF. Donc pour ceux qui ont peur de ce genre littĂ©raire, pas d’affolement.

STATION ELEVEN nous emmène dans des zones inconfortables, on plonge dans les méandres pas jolis jolis de la civilisation humaine et pourtant Emily St. John Mandel réussit à nous donner envie de croire en l’être humain.

A travers un livre qui parle d’un futur hypothĂ©tique, nous pouvons le ramener au prĂ©sent et nous interroger sur nos vies. Qu’est-ce qui nous fait avancer vraiment. Quelles sont nos forces, nos faiblesses, Ă  titre individuel mais aussi collectif.

Plus que tout, STATION ELEVEN nous montre à quel point notre société, que nous croyons immuable et allant de soi, est en réalité extrêmement fragile….

L’Art au coeur de l’humain

J’ai vraiment aimé cette utilisation de l’expression artistique comme fil rouge. Mon âme de rêveuse aime à penser que la pratique d’un art nous aide à être plus Humain. La pratique pour soi, sans chercher à plaire, juste par “en-vie”.

Prendre du plaisir à exprimer ce qui nous anime nous amène, je pense, à repousser les frontières de notre vision étriquée de nous-même et du monde qui nous entoure.

Emily St. John Mandel arrive, avec des mots, Ă  faire voir le travail d’un dessinateur, le dĂ©cor et les comĂ©diens sur scène et mĂŞme entendre la musique d’une fanfare, simplement avec des mots sur une page blanche… Pour moi c’est magique !!!

L’aventure simple, aimer Ă  nouveau son quotidien

Si vous voulez lire un livre plein d’aventures, ce n’est pas exactement le bon livre…. Mais en même temps, il va vous emmener bien loin de votre quotidien !

Si vous voulez un drame psychologique, ce n’est pas STATION ELEVEN qui va vous combler… Et en mĂŞme temps, il va vous montrer l’être humain sous un jour que vous n’aviez pas forcĂ©ment envisagĂ©.

Laissons-nous inspirer par Station Eleven et voyons à quel point nous sommes gâtés. N’attendons pas de ne plus rien avoir pour ressentir la plénitude de nos existences….

Peut-ĂŞtre que ce roman vous donnera envie de remercier la Terre pour toute la richesse qu’elle nous offre. Peut-ĂŞtre mĂŞme nous donnera-t-il envie d’un petit peu plus de frugalité…

Pour moi, STATION ELEVEN va dans le sens d’arrêter la lutte contre les autres et soi-même.

Bonne lecture Ă  tous !


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Jane

Parfois un chêne peut ressembler à un brin d'avoine. Moitié humaine moitié végétale elle suit, coûte que coûte, son propre chemin. Créatrice d'Harmonie et révélatrice d'enfantine.

2 rĂ©flexions sur “Station eleven, un roman d’anticipation impressionniste

  • Elisabeth

    Merci Sido, j’ai commandé le livre et lirai tes écris après

    RĂ©pondre
    • Merci pour votre commentaire et bonne lecture alors !!! Et que vous l’aimiez ou non, vous pouvez faire un petit retour dans les commentaires, comme ça plusieurs points de vue enrichiront l’article !

      RĂ©pondre

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