Le conte des deux illuminés bien ficelés
Les illuminés peuvent aussi s’enchaîner
Il était une fois deux illuminés qui se lièrent d’amitié et s’unirent pour créer ensemble une oeuvre qui se voulait un témoignage poétique et spirituel pour l’humanité. Les deux étaient passés maîtres dans leurs disciplines.
Le premier était le maître de la vie extérieure qui emporte tout sur son passage.
Le second était le maître de la vie intérieure qui absorbe toute la présence.
Ils se mirent au travail avec frénésie.
Le premier avait déjà tous les plans pour aller déclamer leur poésie.
Le second méditait sur leurs possibles forces d’y parvenir en se sentant contraint d’avancer plus vite que son énergie semblait lui permettre.
Le premier avait une tendre fascination pour les capacités de son ami à créer. Sa capacité à transformer le matériel poétique et artistique en sonorités belles et douces à être exprimées.
Le second avait une fascination pour son camarade au regard de l’énergie déployée à vouloir rayonner et des multiples ficelles utilisées afin de concrétiser la lecture de leur oeuvre.
Que firent-ils? Qu’advient-il de leur association?
Grâce à la notoriété du premier ils purent attirer à eux nombre de gens à l’écoute de leur poésie. Curieusement, ils abordèrent une voie descendante où les occasions de se montrer se raréfièrent et où les tensions se cristallisèrent entre eux au point d’arriver à s’éviter, voire à vouloir se détester sans trop savoir vraiment pourquoi. Chacun revendiquait son statut établi de longue haleine et reconnu par tous:
Je suis bien le maître de la vie extérieure et tout continue à se construire autour de moi! Je suis la motivation.
Moi je suis bien le maître de la vie intérieure et tant de réalisations extérieures qui ne reflètent pas suffisamment nos émotions me mettent la tête en bas et me suspendent par les pieds! Je suis l’introspection.
Ils disaient tous les deux leur vérité.
Chacun disait une part de la réalité mais ne reconnaissait pas la possible passerelle qui unirait leurs forces.
Ils avaient la ferme conviction que l’autre ne changerait pas et que les qualités de l’un n’étaient pas transposables à l’autre. Du coup, cela signifiait qu’ils avaient vraiment besoin de l’autre pour se sentir exister.
Avoir un besoin vital de l’autre; voilà la pierre d’achoppement.
Comme il n’y a pas de hasard, les occasions de se produire ensemble cessèrent. Tristes et ennuyés ils se retrouvèrent isolés sur leurs îles mentales et émotionnelles. Le maître de la vie sociale continuait à gesticuler. Le maître de la vie mentale continuait à s’étouffer. Les deux avaient leur Souffle coupé. Plus d’inspiration et fin des aspirations.
Mais la vie a fait bouger les deux illuminés.
Leur coup de poker à eux vint à la suite du besoin impérial du maître de la vie intérieure à inviter le maître de la vie extérieure pour festoyer. Le maître de la vie extérieure, un peu étonné mais ravi de pouvoir être admiré, s’est laissé flatter. Le maître de la vie intérieure, harassé par autant d’efforts et de volonté, se retrouvait confronté à une foule d’idées.
La solution à leur problème tomba foudroyante entre vins fins et bonne chère.
Séparons-nous et retrouvons-nous à loisir ! Que nos chemins se resserrent ou s’écartent peu nous importe. Nous sommes nés libres et le lien qui nous unit maintenant n’est plus qu’une attache entre frères devenus rivaux.
Alors reprenons nos vies, apprenons et rions chacun de notre côté. Comme ça, en amis éphémères, dans la collaboration de l’instant nous pourrons à nouveau nous apprécier.
Ce que l’histoire ne dit pas
Les deux illuminés sont partis voguer l’un et l’autre, chacun de leur côté. Le maître de la vie sociale, interloqué qu’on puisse l’écarter, doucement a osé commencer à la fermer. Le maître de la vie mentale, surpris d’avoir osé, parfois au détour d’un bosquet se surprend à chanter et à vraiment s’amuser.
Parfois une association qui était une bonne idée, un comportement qui nous semblait justifié, n’a plus lieu d’être. On peut l’entretenir, pour se rassurer, pour ne pas changer. Mais tôt ou tard tout doit arriver. Le couperet tombe et ce qui doit être fait se fait. Alors laissons les fruits tomber quand ils sont mûrs, même si on les aime beaucoup ce sont des fruits et la vie est un arbre.