La construction psycho-sociale du JE et le libre arbitre
La construction psycho-sociale du JE et l’illusion d’un libre arbitre sont parmi les thèmes les plus difficiles à aborder pour celui qui, justement, veut être libre. En comprendre la réelle portée, en accepter les conséquences sur notre vision du monde et en intégrer vraiment l’impact dans nos vies quotidiennes est tout sauf facile et agréable. C’est néanmoins essentiel pour se libérer de la croyance de la liberté de nos choix, qui est un des piliers de notre suffisance et de notre auto-contemplation.
Dans le coeur de chaque occidental sommeille une petite phrase banale, une croyance profondément ancrée : “JE SUIS LIBRE DE CHOISIR MA VIE”. Cette simple affirmation implique pourtant une multitude de questions. Alors avant de s’attaquer à la notion de LIBERTE, il me semble utile de comprendre qui est ce fameux “JE SUIS” censé choisir librement sa vie.
Ce qu’on croit être JE n’est qu’une illusion, une construction en partie psycho-sociale. On nous apprend à devenir ce JE.
De notre coté de la barrière, on appelle ça le conditionnement, du vôtre : JE. Déconstruire cette croyance est un premier pas vers l’autonomie et ce que Gurdjieff nommait l’humain unifié et la 4éme voie, ce que nous appelons l’homme de connaissance.
Vous allez, on en est sur, trouver des fautes d’orthographe. Certaines sont voulues, on aime bien parfois jouer avec les “maux”, mais il faut l’avouer la plupart pas du tout. 3 raisons a ça. Déjà on n’est pas hyper doué en orthographe, sauf une, secundo on a la flemme de se relire et tertio on est d’accord pour dire que l’orthographe en français c’est loin d’être simple. Quoi qu’il en soit, il y a des fautes, on vous prie de bien vouloir nous en excuser si ça vous horripile. Au passage si vous râlez très très fort vous pouvez utiliser cette énergie pour nous envoyer le texte corrigé. Bisous
La construction psycho-sociale du JE
Pour l’occidental dénaturalisé et individualisé à l’excès de 2020, accepter le fait que JE n’existe pas, et que de fait le libre-arbitre n’est pas du tout libre mais fortement influencé, fait bobo au cucul de notre auto-contemplation. D’ailleurs ce n’est pas un souci lié à l’individualisme moderne puisque Sartre, Spinoza, Kant, les religieux avec la notion d’âme et tant d’autres se posaient déjà la question de savoir qui était ce fameux JE.
Ce JE SUIS est-il inné ou est-il acquis suite à diverses influences ? Descartes s’interrogeait sur la réalité de ses perceptions et donc sur la réalité de son JE. Il imagina le cogito et que le fait de penser hors des sens et de la matière lui donnait une preuve de son indépendance et de son existence en tant qu’individu indivisible. Mais voilà, depuis Descartes, la sociologie et la psychologie sont venues remettre en question le “je pense donc je suis”.
Qui pense ? Quelle partie de ce “je pense” s’exprime ? Est-ce le même JE quand vous parlez à votre père violent, votre frère violeur, la boulangère et ses gros seins ou l’inspecteur des impôts qui vous rappelle furieusement votre prof de math de 6ème ?
Les sciences dites molles, socio, psycho et leurs déclinaisons académiques, se sont longuement et profondément penchées sur ce sujet. Chacune, avec leurs mots et leurs grilles de lecture, a mis à jour la prédominance de l’acquis sur celle de l’inné, l’importance des injonctions conscientes et inconscientes. Des influences socio-culturelles, économiques, historiques et cultuelles qui façonnent par capillarité et répétition la personne qui se croit individu. Sans parler de l’impact psycho-physiologique de nos postures et de l’environnement sur notre façon de vivre, de penser, d’être, d’aimer.
Sans tomber dans mille et une références, je vous conseille de lire (ou relire) mais surtout d’intégrer et d’appliquer au quotidien les analyses de GILBERT SIMONDON et PIERRE BOURDIEU. Deux auteurs qui donnent des bases concrètes pour comprendre notre non-indépendance et comment se construit notre personnalité, ce fameux JE SUIS.
Tous ces mécanismes sont tellement bien connus qu’ils sont enseignés dans les cours de première année de psycho et de socio ! Je pourrais d’ailleurs aussi rajouter l’apport de la psychanalyse à travers les travaux de Jung, Lacan, Reich, et de la philosophie via Hegel, Spinoza (L’éthique) ou Kant mais c’est à vous de creuser un peu !
Un Je sous influence est-il libre de choisir ?
Les notions d’acquis et d’inné sont au coeur des sciences sociales et du comportement. Les deux auteurs dont je vous ai parlé plus haut analysent et décortiquent comment l’EXT nous influence, comment nous sommes TOUS modelés par les gens, les symboles, les injonctions de notre quotidien. Cette construction par les influences psychologiques (Simondon) ET sociologiques (Bourdieu) est présente partout et dans les moindres petites choses du quotidien.
Depuis l’iconographie des panneaux publicitaires jusqu’à notre envie de porter / aimer les chaussures talons, le muesli et la viande plus ou moins cuite tout est entièrement une construction psycho-sociale modelée par des injonctions du quotidien.
Par petites couches, par la répétition, par la pression sociale, le dressage familial et scolaire qu’on appelle éducation, on nous apprend à être. On nous apprend à être dans cette société, dans ce groupe socio-culturel. Un gamin des cités n’apprendra pas à porter un costard, un gamin du boulevard Perrier (Marseille) n’apprendra pas à manger des falafels.
Difficile de parler de liberté de choix et d’un JE indépendant quand le choix de votre travail, de l’apparence de celle/celui que vous aimez et la forme que prend cette affection est sous la tutelle d’un conformisme psychologie, culturel et social !
Alors bien sûr, il y a des centaines d’autres auteurs à lire dans les sciences humaines mais le plus remarquable est que, même s’ils donnent des causes différentes et se disputent sur des points de détails, ils aboutissent tous à la même conclusion : notre identité, ce que nous appelons JE, est une construction qui est dépendante de variables sociales, historiques, culturelles, cultuelles, psychologiques et familiales.
Du moment que votre JE est en permanence soumis et contraint par des influences extérieures, comment voulez-vous faire un choix libre ? Et si vous ne faites pas de choix libre, comment pouvez-vous croire que vous avez un quelconque libre arbitre ?
La loi du conformisme social
Tout ça vous semble très théorique ? Vous pensez que vous n’êtes pas une construction, que votre JE à vous est bien réel, que vous avez choisi vos amis, votre métier, vos comportements et vos manières d’agir et réagir au monde ?
Alors posez-vous la question de la pub. Vous croyez vraiment que des entreprises privées vont dépenser des milliards en publicités, images et marketing, et ça depuis des centaines d’années, pour influencer nos désirs et nos envies sans que cela fonctionne ?
La première pub étant bien sûr religieuse. Le marketing du christianisme, par exemple, est fabuleux. L’évolution de la doctrine en 2000 ans est assez remarquable. Ne serait-ce que la sainte vierge, qui n’était pas du tout sainte au moment où son papoose de fils est monté sur la croix. Pas plus que le paradis en haut, l’enfer en bas, le carême, le célibat et autres. Ce sont pour l’essentiel des concepts inventés pendant le haut moyen-âge pour rallier et faire en sorte que le pécore animiste achète le produit chrétien.
Aujourd’hui une instagrammeuse de base touche 2000 à 3000 euros pour faire la pouffe en photo ou instalive et dire “comment je fais pour être belle au naturel ? Je m’injecte ce truc de merde”, et des milliers de blondins et de blondinettes le font.
Hier des soutanes, un Napoléon, un petit homme à moustache, un petit tinois et son livre rouge ont convaincu des milliers, des millions de gens que leur chemin était le bon et allait sauver la nation et l’humanité.
Ils ont été suivis bien sûr à cause de la terreur qu’ils inspiraient mais assurément aussi grâce à un consentement global et la pratique d’atrocités bel et bien voulues par leur peuple et leurs fidèles.
L’humain aime appartenir… 2 expériences
Histoire de finir de vous convaincre de la construction psycho-sociale du JE voici 2 expériences sur la psychologie individuelle et collective. Elles ont découlé de l’horreur nazie et du procès de Nuremberg. L’horreur et la froideur de la seconde guerre mondiale ont généré un besoin de compréhension : comment de braves gens peuvent-ils commettre de tels crimes ? (Lire aussi la psychologie de masse du fascisme de W. Reich)
Pourquoi n’ont-ils pas refusé ? Pourquoi n’ai-je pas refusé ? Pourquoi obéir ? Pourquoi me révolter aussi ? Si notre JE est si libre que ce que nous aimons le croire, l’humanité n’est alors pas si magnifique et n’a rien, vraiment rien, de supérieur aux autres mammifères !
L’expérience de Solomon Asch – 1956
Publiée en 1956 par le psychologue Solomon Asch, elle démontre le pouvoir du conformisme sur les décisions d’un individu au sein d’un groupe. Sa question de départ est Comment un individu peut-il faire sien un jugement qu’il sait contraire au bon sens et à la réalité sans pourtant craindre la moindre punition ni aucune sorte de récompense ?
lien vers la vidéo Youtube
Les résultats de l’expérience sont édifiants, consternants et posent de manière très concrète la question du libre arbitre et de la liberté. Les sujets naïfs, influencés par les compères, vont donner en moyenne 36,8 % de réponses erronées contre 5.45 % dans le groupe contrôle !
Pour renforcer ces chiffres, je vous rappelle que l’expérience de Asch, contrairement à celle de Milgram, ne crée pas de “stress” et ne manipule pas le sujet naïf !
Je vous laisse réfléchir à l’implication de cette expérience dans un vote à main levée lors d’une assemblée et même au vote dit démocratique, et à la puissance du regard sociétal sur nos choix individuels …
I comme Icare ou la théorie de Milgram
En 1963, l’expérience de Stanley Milgram, un psychologue social américain, reprend les travaux de Asch et les pousse plus loin dans la pratique. Maintenant il ne s’agit plus de donner son avis sans contrepartie mais d’obéir aux ordres. Le but étant de savoir si des gens ordinaires peuvent causer une souffrance extraordinaire aux autres quand on le leur demande et comment ils le vivent.
Le principe est simple : Un participant “naïf“, le sujet de l’expérience, à la demande d’une autorité supérieure (ici un scientifique), pose une question à un participant acteur et complice de l’expérience. Si la réponse est juste, il passe à la question suivante, si la réponse est fausse, le participant “naïf” envoie une décharge électrique au participant complice et passe à la question suivante. Chaque mauvaise réponse implique que la décharge suivante sera plus forte.
Les résultats de Milgram sont sans appel : 65% des participants sont prêts à tuer un homme pour peu qu’on leur donne l’assurance qu’ils ne seront pas inquiétés et qu’on leur en ait donné l’ordre !
Et ce, quel que soit leur sexe, leur catégorie socio-professionnelle, leur éducation ou autres facteurs sociaux.
En guise de commentaire, je citerai des chercheurs en psychologie qui ont commenté les résultats obtenus par Milgram
Milgram a rétabli le bien-être des participants en les attirant habilement par l’idée que la science est quelque chose de si démesurément profitable à l’humanité qu’un “dommage collatéral” infligé au passage ne pose pas problème.
Alex Haslam, Stephen Reicher, Kathryn Millard et Rachel McDonald
Je s’appelle GROOT !
Ces théories sur le conformisme social et la fabrication du consentement sont toutes parfaitement comprises et utilisées par les gourous, les religieux, les dictateurs et en politique depuis très longtemps. De superbes utilisations de la construction sociale du JE et de sa puissance nous ont récemment été données à travers le scandale de Cambridge Analytica, et bien sûr à travers le confinement masqué actuel.
Arriver à mettre sous cloche et dans la terreur feinte ou réelle presque la moitié de l’humanité sans quasiment aucun coup de feu, et ça en moins d’un mois ! Si vous croyez encore que votre JE CHOISIS tient le coup, ben … sortez masqué !
Voilà pour la première étape de déconstruction de votre gros bloc de suffisance et d’auto-contemplation ! Et oui, votre sacro-saint JE SUIS, JE VEUX, JE DOIS (vous compléterez) n’est qu’une construction que vous avez subi depuis … avant votre naissance !
Mais rassurez-vous, aujourd’hui je n’ai abordé que la partie cool de l’Iceberg. Parce que notre fameuse intégrité, notre “liberté de penser”, la superbe liberté de choisir sa vie (au passage c’est pas super sympa ce que vous vous êtes choisi), ben elle tient même pas au niveau physiologique ! Et oui, la biologie, elle aussi, vous manipule, vous construit et modèle ce fameux JE qui au final n’est qu’un pantin.
Alors vous restez accroché aux basques de Guignol, Gnafron et Madelon ou vous commencez à envisager d’accepter que JE n’existe pas ?
Bisous bisous
Liens et compléments d’informations
- Appliquer au quotidien, c’est ce qui nous différenciera d’un intello, aussi sympathique soit-il. Il est plus que temps de revenir à une philosophie de vie qui, comme dans la Grèce antique, soit une pensée incarnée dans le réel et le quotidien. Ca marche avec des notions comme la construction psycho-sociale du JE mais aussi avec l’écologie, l’auto détermination et l’autonomie 😉
- L’EXT pour extérieur est une notion différente mais proche de celle de Jacques Ravatin. L’extérieur est tout ce qui n’est pas notre JE, que ce soit environnemental, social, psychologique, énergétique ou autres. Cet EXT peut très bien être intérieur et être une partie de nous que nous ne connaissons ou ne reconnaissons pas.
- Solomon Asch, psychologue américain des années 1950. Il travaille sur le conformisme d’un individu face à un groupe et sur la plasticité de nos choix face à une majorité. L’expérience dans le détail
- Stanley Milgram, psychologue social des années 60. Il travaille sur la soumission aux ordres et les limites de la responsabilisation. Son expérience
- La fabrication du consentement et du consensus. Un petit résumé des expériences de Milgram et Asch via SLATE
- Cambridge analytica. Le plus remarquable dans cette affaire n’étant pas le vol de données personnelles, c’est hélas un fait connu depuis une dizaine d’années, mais bien plus l’utilisation de ces données pour manipuler le “ventre mou” de la société. Faisant ainsi basculer le vote d’un côté ou de l’autre.
- La neuropathie émotionnelle est une branche de la neurobiologie qui, après 150 ans de somnolence, voit un intérêt grandissant depuis la fin des années 90 avec les travaux de Joseph LeDoux.
Livres & auteurs
Gilbert Simondon : philosophe, psychologue
Il critique la pensée aristotélicienne expliquant l’individuation par la préexistence d’une forme antérieure à la matière et qui la modèlerait. Il s’interroge sur l’être, le paraître et les relations / informations. Simondon décline l’individuation en trois catégories : physique, vitale et transindividuelle.
Sa pensée influence celle de Gilles Deleuze (à lire aussi), qui utilise des notions de “L’individu et sa genèse physico-biologique”. Sa fiche wikikipédia
- L’individu et sa genèse physico-biologique, Paris, PUF, 1964.
- L’individuation psychique et collective, Paris, Aubier, 1989.
- Cours sur la Perception (1964-1965), Chatou, Éditions de La Transparence, 2006; réédition Paris, PUF, 2013.
Pierre Bourdieu : sociologue
Sociologue français du XXe siècle, désagréable et largement critiqué par les opposants au déterminisme et les chantres du libéralisme ou du marxisme. Bourdieu analyse les mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales et l’importance des facteurs culturels ET symboliques.
Il s’oppose à la vision marxiste et à l’importance du facteur économique. Il souligne l’influence des “dominants” sur la production culturelle et symbolique, et son influence sur les rapports sociaux de domination dont découle la violence symbolique. Sa fiche wikikipédia
- Avec Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Grands documents » (no 18), 1964
- Avec Jean-Claude Passeron, La reproduction : Éléments d’une théorie du système d’enseignement, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1970
- Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2001
- La misère du monde, Paris, Seuil, coll. « Points essais », 2007
- La domination masculine, Paris, Seuil, coll. « Liber », 1998
- Les structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, coll. « Liber »
Quand je l’oublie pas, je me souviens que la beauté du monde est là.
(j’ai fait comme si j’existais pour te répondre)
C’est sympa quand tu fais comme si tu existais 😉