Voir l’association humanitaire. Le marché du don, part. 2
On continue sur le thème du marché du don par la partie sur le receveur, c’est à dire l’association humanitaire ou socio-culturelle. Comment et à quoi notre désir (ou fantasme) de venir en aide va-t-il se confronter ? Derrière les belles images que nous nous faisons du monde associatif se cache ici aussi un fantasme d’absolu et d’un monde parfait. Le thème du don aux associations (caritatives ou socio-cul) est un sujet vaste mais peut-être moins complexe qu’on ne le croit.
Sur LA PASSERELLE on aime bien démonter nos croyances (et les votres) et nos illusions, pas pour les juger mais juste pour savoir que ce n’est pas LA VÉRITÉ mais un choix de notre perception. En tant que grande humaniste et après avoir travailler au coeur d’une association humanitaire trés connu et dans pas mal d’associations humanitaires ou sociales ayant pignon sur rue mais plus petite c’est moi qui suis en charge de casser ce mirage la.
Dans l’illusion vertueuse le milieu associatif humanitaire ou social, plus qu’un autre, devrait être un monde un peu à part, sur lequel nous mettons tous nos rêves de perfections et d’espoir dans l’humanité.
En réalité le monde associatif n’est qu’un monde comme les autres, constitué d’humains totalement imparfaits.
Après avoir démonté l’illusion du DONATEUR cette deuxième partie sur le marché du don va essayer de changer votre regard sur l’association humanitaire ou socio-culturelle. Comprenons la nécessité de déconstruire le rêve d’une association pure et parfaite pour avoir l’occasion de revoir nos façons de donner.
Les faits sont là, le don est aujourd’hui un marché (fort lucratif) basé sur des intentions définies comme “bonnes” par des associations représentant la morale, le bien et le mal, le juste et l’injuste. C’est pas rien le pouvoir (fardeau) qu’on leur donne, vous trouvez pas? Il faut avouer que c’est reposant d’avoir des personnes extérieures qui nous disent ce qui est bien ou mal, et qui en plus nous permettent de faire “le bien” sans que cela ne nous coûte trop. Je comprends pourquoi ce marché est en pleine croissance.
l’association humanitaire est un super marché (du don)
Oui, je sais, associer le mot “marché” à “don”, ça fait grincer nos mâchoires et nos oreilles. Ce sont surtout nos illusions qui grincent, la mécanique de nos rêves d’absolu (partie 1) commencent à ne plus être si bien huilées, il est temps de voir un peu plus sincèrement la situation. Après, si on sort du jugement et que l’on comprend que c’est le premier pas nécessaire pour agir un peu plus en conscience, ça vaut peut-être le coup de lire la suite? Non?
Le don n’est plus une action désintéressée et sans attente. Le don est devenu utile pour celui qui donne (il achète une émotion, une “bonne” conscience, une “bonne image”). C’est un investissement qui doit être payant (détail en partie 3).
Concrètement, cela change totalement le “comment” et le “pourquoi” des actions solidaires et humanitaires qui sont mises en place. Les discours et les actions s’adaptent aux attentes des actionnaires (les donateurs) et les intentions premières des projets se perdent dans l’enjeu de simplement survivre comme n’importe quelle entreprise ou groupe d’individus.
Petit à petit l’associatif est devenu un marché comme les autres, régit par l’offre et la demande. Les associations, même les plus honorables, sont devenues des entreprises privées qui font de “l’économie humanitaire” pour survivre.
Les associations sont maintenant en concurrence, il faut rafler les financements en premier quitte à tirer une balle dans le pied d’une association qui a le même but que la sienne. Les projets se transforment en tableau de chiffre à perte de vue, on investit dans des produits marketing à plusieurs centaines de milliers d’euros pour vendre nos projets. Oui, c’est vrai, hyper important le mug “sauvez ginette de la rue”… Ha non merde, celui là n’existe pas, celui du petit Ganesh d’un bidonville de New Delhi est beaucoup plus vendable (Un peu de sarcasme ne fait pas de mal). Je noircis le tableau… Bon nombre d’acteurs font de leur mieux et sont biens intentionnés.
Seulement, malgré ses “bonnes intentions”, le marché du don est tellement énorme qu’ils n’ont pas vraiment d’autres choix que de le suivre.
Les bonnes intentions peuvent tout justifier, surtout les grosses conneries au service d’une soit disant bonne morale.
L’intention des associations humanitaire, un souci fondamental.
Rome ne voulait que la “pax romana” quand elle a écrasait l’Europe sous sa culture. Les missionnaires chrétiens ne voulait qu’apporter la lumière divine aux peuples “perdus de dieu” quand elle massacra les bretons, les celtes, les africains, les germains, les asiatiques, les indiens, les amérindiens, les nordiens, les …
Gandhi, qui n’est un saint homme que pour nous occidentaux, avait des intentions très louables au départ. Mais quand il a ordonné de détruire les édifices musulmans, c’était aussi sur de bonnes intentions mais le résultat fut on ne peut moins un immense bordel dont l’Inde et surtout les indiens payent encore le prix ! Ailleurs dans le monde mais à la même époque un autre “brave homme” voulait redonner à son peuple sa grandeur et voulait mettre en place, lui aussi, une “pax romana” et faire grandir le genre des vrais humains. Ils s’appelait Adolf et avait une crampe au bras en plus d’un petit problème de surdité l’obligeant à parler très fort. Mais, c’est véridique, son point de départ était réellement d’aider l’Allemagne et le genre humain
Chaque fois l’intention, sur le papier, était bonne mais sous couvert de bonnes intentions, j’ai vu et j’ai fait des conneries monumentales sur le terrain, que ce soit en Inde ou en France.
Je vous les raconterai un jour sur un podcast. Mais l’après Tsunami en Inde a mis en lumière bon nombre des conneries que nous “acteurs humanitaires”, nous faisons à partir de nos bonnes intentions. J’ai vu des villages de pêcheurs reconstruits à des kilomètres du littoral, des tonnes de bateaux et de filets de pêches entassés sur les plages alors que les populations disaient ne pas en avoir besoin, des villages reconstruits avec des habitations qui se détruisaient à la première mousson, des médecins qui apparaissaient par magie pour vacciner des enfants déjà vaccinés… La liste est très très longue.
Tout cela parce que nous ne travaillons “jamais vraiment” avec les populations locales.
Les bonnes intentions, vecteurs d’oppressions et de morale
Comme on dit “l’enfer est pavé de bonnes intentions”. Et cet enfer, les conneries faites au nom d’une association et/ou de grandes idées, est essentiellement causé par une méconnaissance ou par les préjugés sur ce que devrait-être la vie des personnes que nous voulons à tout prix aider (parfois malgré elles) mais aussi à cause de l’intention biaisée qui sous-tend l’action humanitaire ou sociale des associations et de leurs membres.
En fait, la question n’est pas d’avoir de bonnes ou de mauvaises intentions mais peut-être de commencer par VOIR HONNÊTEMENT L’INTENTION qui porte nos actions. Sans jugement encore une fois, simplement arrêter de se cacher derrière une belle vitrine et de grands idéaux. Oui au départ on vient pour aider, oui on veut être utile, mais derrière, on impose notre vision du monde.
On impose a des gamins dits défavorisés ou à des cultures différentes de la nôtre notre vision de ce que devrait-être leur vie.
Vous vous rendez compte de notre suffisance, de notre arrogance, de notre paternalisme !? On part du principe que nous “les aidants” on sait mieux que eux ce dont ils ont besoin et surtout que eux ils ont besoin de nous. En fait, moi, vous, lui nous ne valons pas mieux que les dames de charité, de vertu, du XIXéme qui aidait les pauvres et les indigents en les obligeants à devenir vertueux. Elles ne les aidaient pas pour ce qu’ils étaient mais les convertissaient, en toute bonne foi, à ce qu’elles voulaient qu’ils soient.
J’ai compris au fil des ans que le poids de la morale est encore plus lourd dans les associations socio-cul ou humanitaire qu’ailleurs. Il y a les gentils et les méchants. Les gentils, ceux qui sont victimes d’un système quel qu’il soit et qu’on DOIT aider et les méchants ceux qui oppressent et se nourrissent sur le dos des pauvres gens d’ici ou d’ailleurs.
Le monde humanitaire ou les asso socio-culturelles sont de magnifiques vecteurs d’un monde moral et binaire. Elles excellent dans l’art de trouver des justifications à leurs actions et à leur maintien (et à leurs subventions). Le monde actuel étant idéal pour se maintenir en divisant plutôt qu’additionner les forces et accepter de ne plus avoir de raisons d’être !
N’oublions jamais que le but ultime d’une association humanitaire c’est de disparaître… normalement…
La morale au coeur de l’association humanitaire
Quand je suis arrivée sur le marché du travail de l’associatif, une transformation s’opérait depuis quelques années : La professionnalisation des ONG. Les associations basculaient sur des organisations plus cadrées et compétentes.
Cette étape a été perçue par bon nombre d’acteurs comme une trahison. On dénaturait le cœur de l’associatif car nous rentrions dans des logiques économiques (encore les gentils et les méchants). Il y avait un conflit profond entre ceux qui avaient peur de perdre l’objet premier de l’association et ceux qui cherchaient à construire une organisation plus pérenne financièrement et plus professionnelle sur le terrain.
Je me suis vue refusée des postes dans des associations parce que j’avais fait une école de commerce…
Parce qu’on a fait une école de commerce, on est moins humain. Ha bon ? Mais pourquoi donc ? Je m’inspire de l’organisation des entreprises, je deviens moins humaine, je pactise avec le diable, je me déconnecte de mes émotions ?
Il y a cette croyance que l’aide à la personne ne peut se faire qu’avec une forte sensibilité et des émotions. Je dirais qu’en général c’est cela qui créé des situations très difficiles car les actions sont faîtes par impulsion émotionnelle et manquent souvent de pragmatisme. Accompagner une autre personne demande de l’intelligence émotionnelle mais certainement pas de se laisser aller à nos propres émotions. Si au lieu d’être l’un ou l’autre on s’autorisait simplement à être les deux?
Souvent aider quelqu’un, être gentil avec lui demande d’être dure, patient, de dire ou faire des choses qui ne nous font pas spécialement plaisir. On vous en parle plus en détails sur l’article de la générosité et celui de la complaisance: fausse gentillesse.
Encore l’absolu, les gentils, les méchants. L’entreprise c’est les méchants, les gentils les associations. Pourtant on constate souvent que quand les 2 collaborent, les résultats sont plutôt positifs. On cloisonne les mondes justement guidés par nos émotions alors que le besoin est de faire des ponts (de soi à soi, de soi à l’autre, de l’autre au monde, etc.) ou des passerelles (ptit clin d’oeil au blog).
Alors c’est tout pourri les associations caritatives ?
A la fin de cet article, vous vous sentez peut-être triste, c’est vrai… le monde associatif n’est pas parfait, pire ! Il est rentré dans la logique capitaliste de la maximisation des profits !
Comme pour la partie 1 sur les rêves du donateur, soit nous pleurons longuement sur cet état de fait et continuons à nourrir le système binaire (c’est maaaaaal!), soit on encaisse et on se sert de cette opportunité pour grandir, donner, participer avec plus d’humilité et beaucoup moins d’illusions.
Dans la troisième partie, nous verrons justement et sans jugement, comment agir peut-être plus simplement tant sur nos attentes que concrètement. Il y aura encore des choses à accepter de voir, des peurs et des “je veux” à lâcher, ainsi que des efforts à fournir. Le don gratuit est censé ne pas avoir de prix pour celui qui le reçoit, mais il en a un pour celui qui donne. Encore une fois, on peut le penser dans tous les espaces de nos vies.
Laurence
En savoir + sur l’action des association humanitaire
- L’ « esprit associatif » à l’épreuve du travail – Entre les valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un chaînon manquant ? Pascal Ughetto et Marie-Christine Combes
- La remise en question des ONG : l’exemple du conflit afghan – E. H. & Elisa Guizouarn.
- Être un professionnel de l’humanitaire ou comment composer avec le cadre imposé – Pascal Dauvin