Arcane 22, Le Mat, le chemin de la croix vers la Liberté
Le MAT, l’arcane 22 dans le tarot de Marseille est l’incarnation du paradoxe de la Voie, de la Vie. Placer le MAT, en tant que 22 ème arcane, est un abus de langage. Comme l’arcane 13, vu il y a peu, cette carte du tarot de Marseille est tout, sauf simple à définir et à limiter. Quand l’arcane 13 ne se nomme pas, le MAT lui ne se place pas. Il est ici et ailleurs, partout et nulle part. Champion de l’évocation, apôtre des non-définitions, un clochard céleste qui s’évapore face aux limites de notre imaginaire.
Dans les oracles des braves gens le MAT est souvent le symbole de la déchéance, de la folie ou de la fatalité divine. C’est une décision prise à la hâte, un drame soudain, la perte de tout repère. Pour le Pèlerin en quête de la Liberté Totale il est l’incarnation de l’ultime marche, le centimètre cube de chance qu’on saisit, le bond dans l’inconnu.
Le MAT ne se définit pas, ne se place pas. Ou alors il englobe toutes les définitions, tous les emplacements. D’ailleurs, son équivalent dans la Kabbale, le TAV, est le sceau de Dieu, la finalité ultime. Tout comme le TAW phénicien en était “la signature”.
La carte du MAT, c’est celui qui “ne-hait” plus ici et qui “naît” pas encore ailleurs. C’est ce moment déjà passé qui se prolonge à l’infini. Ce “trop tard” qui n’en revient pas de perdurer. C’est être ICI e(s)t ICI… Même !
Encore plus que dans les autres arcanes majeurs du tarot de Marseille, vous allez devoir percevoir le chemin du MAT. L’Imaginaire est la clé de votre vision, de votre vérité sur ce qu’est LE MAT. La Poésie, la Folie, la Musique sont les seuls compagnons de celui qui, pour moi, incarne la voie du Pèlerin.
Le MAT vous demandera de ne plus croire pour faire enfin face à l’incroyable. Il vous demandera d’illuminer et d’assombrir, de perdre la tête pour trouver la Raison. De sortir pour pénétrer, d’aimer pour crever et surtout de Vivre pour enfin pouvoir Mourir ou inversement.
Les “maux” du MAT ne sont plus d’ici et ne sont pas encore de maintenant. C’est une comptine qui remonte des temps anciens et des espaces futurs. Pour moi c’est le bateau îvre de Rimbaud ou ces passages chargés de fougue et de véhémence d’un des plus grands sages poètes du XXème siècle :
L’incroyable, c’est la porte de secours que je poussais quelquefois, et personne jamais ne s’en est aperçu…
Le MAT est TAV, octave supérieur de l’Empereur
Pour celles et ceux qui auraient oublié le tarot de Marseille, ainsi que beaucoup de savoirs anciens d’occident, est grandement influencé par la culture sémitique (-4000/-1000 avant JC). Cette influence, ces savoirs et visions du monde se sont principalement transmis via l’alphabet phénicien qui est l’ancêtre de alpha-bet(a) hébreu, puis grec et enfin latin (le nôtre).
Dans ces alphabets, chaque lettre / symbole, en plus d’une multitude de sens, portait en elle une fréquence et un nombre (Alef – Beth). Les imagiers du moyen-age en dessinant le tarot ont repris ces enseignements. Une carte, une forme, un mot, un nombre, une fréquence, le tout regroupé en un arcane évoquant les différents chemins pour accéder à ce savoir / vibration. L’ensemble formant une véritable carte routière vers Le Savoir et SA sagesse.
La croix au centre du Tout, au centre du TAV
L’arcane du MAT correspond, via les alphabets sémitiques, au TAV de l’alphabet hébreu. La fréquence / valeur du TAV est de 400. Le symbole proto-sinaique du TAV (Taw en phénicien) était une croix ✚ équanime. Le TAV hébreu deviendra le T (Tau) du grec ancien perdant ainsi son axe vers le divin. Une symbolique possible est celle d’un axe vertical | qui représente le lien entre le divin matériel incarné (Binah) et le divin spirituel global (Hokmah) et l’axe horizontal – le lien entre les deux polarités Mâle / Femelle composant toute chose matérialisée.
Les grecs en coupant la tête de la croix, les chrétiens en décalant le centre de la croix n’ont-ils pas, symboliquement, dénaturé la vibration d’origine du MAT, le TAV, qui était pure harmonie ?
N’ont-ils pas changé la fonction première de ce qui devrait être le parachèvement de tout humain, à savoir, se tenir au centre des 4 orients (la 2D ?) et des 6 directions (la 3D ?) (4 orients + Zénith et Nadir) pour pouvoir sublimer et transcender la dualité suprême qui nous fait croire que les inverses ne peuvent co-exister (la 4D ?) ?
Je garderais de la croix TAV / Le MAT le symbole-fréquence premier qui évoque la rencontre, le centre de toute chose. Peut-être son absence de définition numéraire dans le tarot de Marseille vient-elle de là ? Peut-être les Anciens avaient ils perçu que LE MAT est au centre de toute chose et que, de fait, il ne pouvait pas se limiter à une place précise dans notre vision linéaire ?
4 / 40 /400 trois octaves menant de l’Empereur au MAT
Revenons à notre numérologie. Si nous acceptons l’idée que le MAT soit le 22ème arcane majeur du tarot de Marseille nous obtenons une guématria de 4 (2+2=4). Les deux fois ou nous avons rencontré la valeur 4 depuis le bateleur (1) sont l’EMPEREUR, l’arcane 4 et l’arcane 13, le sans nom (La Mort), qui devient 4 via sa guématria 1+3 = 4. Si nous appliquons les valeurs donnés par l’alphabet hébreu nous obtenons DALETH 4 – MEM 40 (la 13 éme lettre) et enfin TAV 400 (la 22ème lettre)
Le MAT (22) serait donc de la même famille que La MORT (13) et que l’Empereur (4). DALETH (4), MEM (40) et TAV (400) unis par la même vibration fondamentale. 3 étapes de l’incarné : Vie, Mort et Transmutation ?
Au passage “mat” dans l’expression échec et mat viendrait de l’arabe مات, māt qui à le sens de mort
L’Empereur, l’arcane 4, le carré, la première forme
C’est souvent à travers lui que se manifeste le premier symbole de l’incarné capable d’action. Le Bateleur, joue, hésite. La Papesse lit ou contemple. L’Impératrice prend conscience de sa totalité mais c’est chez l’Empereur qu’un choix prend corps. Il choisit, oriente la face qu’il veut montrer. C’est cette polarisation qui va lui permettre d’engendrer la matière. Toute les facettes du carré sont égales. Une action, un visage n’est pas plus important qu’un autre. L’humain-divin doit engendrer, peu importe la forme et sa seule fonction est de matérialiser. Là ou l’Impératrice fait croître en elle, l’Empereur manifeste au devant de lui. La vie / enfant peut maintenant commencer son vrai chemin.
La Mort, l’arcane 13, le 40
Dans la symbolique, l’arcane 13 remet tout à plat. L’immense travail de mise en forme, mise en matière, qui a débuté dans l’Empereur se voit réduit à un énorme foutoir, tout est remis à niveau: celui du sol ! Roi, Comédien, Pape, Hermite, tout est égal face à la mort. Celle que notre JE perçoit comme l’ennemi n’est au final qu’une force de réagencement des parties, d’aplanissement des différences apparentes.
Tout ce qui a pris forme dans le 4 perd sa limite, sa structure, dans l’arcane 13. Yin / Yang, ce que je donne / construis (4) je le reprends /détruis (13). De la glaise j’engendre la vie, de la vie je nourris la glaise. Le sang afflue, le sang reflue, la vie est ainsi. Dans la grotte utérine du MEM hébreu, la tourbe, l’humus prospère et la vie s’en va pour créer la vie.
N’avez vous jamais songé que pour que l’enfant naisse le fœtus doit mourir? Que pour que la jeune femme enfante il faut que la petite fille meure? Isaac Newton n’a-t-il jamais eu la vision que la pomme si juteuse qu’il s’est pris sur la caboche n’était au fond que la mort / transmutation d’une fleur délicate ?
Ça vous semble uniquement symbolique ? C’est pas faux, mais j’aimerais que vous me montriez où est la petite fille de 8 ans ou la fleur de cerisier quand vous mangez un clafoutis ! Et si un des secret de la vie était là ?
Le MAT, l’arcane 22, de valeur 400
Le MAT ou le TAV hébreu arrive après le MONDE, l’arcane 21. Il arrive après la bataille. Dans L’arcane 21 tout semble déjà fait. Le rhombe est scellé. Le Pèlerin après avoir été matérialisé dans le 4 et avoir accepté la dissolution ultime de son JE dans la grotte du MEM 13 en ressort transcendé en tant qu’Adam-Eve / Yin-Yang incarné. Il chemine dans le Mythe jusqu’à l’octave supérieur de la création 3 / 12 (30) / 21 (300), l’arcane 21 LE MONDE. La couronne Shin (21éme lettre) du Roi des rois orne maintenant son sommet. Que peut-il espérer de plus ? Le Pèlerin sait tout, peut tout être, sans influences extérieures. Les 4 orients, les 4 anges des imagiers du moyen-age, sont à l’extérieur du cocon du Pèlerin.
Pourtant le MAT, l’arcane 22, TAV apparaît à ce moment là dans la carte routière vers soi qu’est le tarot.
Comme si le MAT, non satisfait d’avoir atteint le but déjà annoncé dans le BATELEUR voulait reprendre la route… Comme si la vibration ultime de la matière (le carré, le 4) ne pouvait finir par cette prison dorée et flatteuse qu’est LE MONDE… Comme si TAV, la croix, voyait que l’angélisme du Shin LE MONDE allait lui empêcher l’accès harmonieux à LE DEMON…
Comme si LE MAT percevait LA VERITE, à savoir que, sans “Le Royaume” (Malkhut), « La Couronne » (Kether) n’est rien d’autre qu’une couronne de galette des rois.
Le MAT, le sacrifice au coeur de la Liberté
Pour poursuivre cette balade loin du monde ordinaire il suffit de s’imprégner de la carte que les imagiers du moyen-age nous ont transmise. Un homme avance, déguenillé, recouvert de grelots, avec un baluchon sur l’épaule et un bâton de marche dans l’autre main. Toutes les autres cartes du tarot à l’exception du MAT et de l’Hermite sont statiques voire carrément immobiles. Mais ici le mouvement est beaucoup moins hésitant que chez l’Hermite. Alors que l’arcane 9 avance avec prudence vers sa droite le MAT lui caracole presque dans la direction opposée !
D’ailleurs il n’a pas vraiment le choix. Un diablotin, ou un petit chien semble soit l’accompagner, soit le pousse à avancer, soit lui quémande quelques miettes. Peut-être fuit-il ce que l’Hermite à découvert ? Peut-être n’en a-t-il cure ?
Des clochettes qui en disent long
Les clochettes qui ornent le costume de notre MAT semblent indiquer qu’il est un bouffon. Mais les bouffons au moyen-âge n’étaient pas des gens libres qui arpentaient seuls les chemins comme semble le faire l’individu sur l’arcane 22. Les bouffons appartenaient à des maîtres, ils étaient nourris, engraissés et jouissaient du privilège de moquerie… jusqu’à ce que cela déplaise à leur « saigneur ». Le MAT serait-il un bouffon en fuite ?
Quand aux saltimbanques, lépreux et parias qu’on a souvent rattachés à la carte du MAT, qui avançaient en faisant du bruit, ils n’utilisaient pas des clochettes mais des crécelles. De plus, même s’ils suivaient bien les chemins, ils ne le faisaient jamais en solitaires sauf s’ils y étaient contraints.
Par contre, pendant ce même moyen-age, les fous et les bannis, eux, arpentaient le monde en solitaire.
Cette approche semble plausible. L’outre pleine, la massue et l’accoutrement sont des signes récurrents de la folie dans l’imagerie du XIII ème siècle. Lépreux, saltimbanques ou fous, cela validerait dans tous les cas l’interprétation négative du MAT par les “braves gens”. Le MAT serait donc un des nombreux exclus, juifs, ou bannis qui peuplent les routes du moyen-âge.
Mais voilà aucun de ces marginaux n’utilisent des clochettes ! Par contre dans l’imagerie, même ancienne, mis à part le bouffon, une des seules représentation d’un manteau couvert de grelots est pour le grand prêtre du temple de Salomon, qui avait une tenue recouverte de clochettes pour avertir le peuple de son approche. Le MAT serait il le grand prêtre déguisé ? Le Juif errant mythique ? Celui qui a renoncé au cadeau de Dieu et qui chemine à jamais dans le monde ?
Avouez que ça colle parfaitement avec l’emplacement du MAT après le MONDE. Notre MAT serait un peu comme Siddhartha Gautama, le prince indien qui choisit volontairement d’abandonner beauté, richesse et gloire pour arpenter les chemins en quête de la vérité et ainsi réaliser l’état de bouddha.
Le MAT s’affranchit des formes pour retourner au fond
Observez bien la carte du MAT (22 / 400) et l’arcane 4, l’Empereur. L’opposition est troublante ! Comme si le MAT était l’image inversée de l’Empereur. L’une est quasiment l’exacte opposée de l’autre ! Pourtant 4 et 400 sont tous les deux reliés à la même vibration d’origine. Celle de la matière.
Le puissant barbu (arcane 4) est soigneusement vêtu. Il se montre de profil, faisant face à sa droite dans une posture statique, les jambes croisés, à demi assis sur un trône dominant une Aigle (Aigle était féminin jusqu’à Louis XIV). Il tient son sceptre (Le Bâton) d’or (le Denier) fièrement dressé dans sa main droite. Je vous laisse faire le lien symbolique et un rien libidineux d’avoir un gourdin tendu vers le ciel. Un gourdin sanctifié par une croix latine tréflée certes mais un gourdin quand même ! Au passage le gourdin est un des symboles du fou au moyen-age, l’Empereur serait-il un fou acceptable ?
De l’autre coté notre arcane 22 fait exactement l’inverse. Il est en guenille, ses chausses sont tombantes et, mis à part le plastron, rien ne rappelle son point de départ qu’est l’Empereur. Le MAT se montre lui aussi de profil mais il fait face à sa gauche, symboliquement le coté de la Mort, du Féminin, de l’Abstrait. Alors que l’Empereur était statique écrasant une aigle, le MAT lui est en mouvement, accompagné, harcelé par une créature mystérieuse. Le sceptre qui défiait fièrement le ciel est devenu un bâton de pèlerin (Le Bâton) d’un rouge total (encore le Bâton).
L’incarnation au service du chemin
Là ou l’Empereur revendiquait et montrait à tous les vivants (droite) son pouvoir (denier) issue de la matière (le bâton) ainsi que sa domination sur le principe féminin solaire (la aigle) le MAT, lui, ramène le bâton, l’incarné, à ce qu’il est: un outil pour l’aider à cheminer, une simple canne. Il pourrait se servir de cette incarnation (le bâton) pour chasser l’animal qui l’accompage, le harcèle mais il n’en fait rien. D’ailleurs il ne lui jette même pas un regard.
Au moment où nous avons à vivre la vibration première de la matière (l’Empereur) nous devons montrer (le collier d’or, le sceptre, la couronne) mais dans le MAT le “vesti”, la forme, n’a plus de sens. Elle existe encore mais elle ne sert qu’à avancer. Les fantômes du passé existent encore mais ils n’ont plus d’impact sur nous, seul compte le fait d’avancer.
L’Empereur voulait montrer, prouver, afficher son pouvoir et sa puissance. C’était alors le moment de le faire. Son ego (denier) utilisait l’incarnation (bâton) pour exister et s’asseoir littéralement sur l’Intention (la Aigle).
Le MAT lui ne se soucie plus de montrer quoi que ce soit. Sa forme, son apparence, un pseudo prestige ou pouvoir n’ont plus de sens. Il peut revenir à l’essence des choses. L’incarné (le Bâton) n’est qu’un élément sur lequel s’appuyer. Quand à l’animal qui le harcèle ou s’agrippe à lui, le MAT ne lui prête aucune attention.
Dans les livres de Castaneda on peut trouver deux représentations de cette transformation. Souvenez vous des propos du petit fils de Don Juan Matus qui reprochait à celui-ci de n’être plus qu’un vieux clochard, alors qu’il avait été un puissant brujo (sorcier). Pourtant ce clochard était, derrière la forme devenu un véritable “Homme de connaissance”. Idem dans le Voyage à Itxtlan, Don Genaro / le MAT après avoir chevauché avec l’Allié sait que les formes qui l’accostent, s’aggripent à lui ne sont que des fantômes, de vaines tentatives de parasitage issues de son passé (derrière lui).
Nettoyer son histoire personnelle
Le simple bâton de l’Empereur s’est dédoublé chez le MAT. Ce second baton qui apparait dans la main gauche du vagabond pourrait d’ailleurs ressembler à la massue des fous. Il est pourtant une arme bien innofensive puisqu’il ne sert qu’à porter les maigres affaires nécessaires au MAT pour poursuivre son chemin. On évoque ici un concept familier des lecteurs de Castaneda ou de certains ordres religieux et spirituels : se défaire de son passé ou nettoyer son histoire personnelle.
Très souvent cette partie est comprise comme tirer un trait définitif, nier, détruire tout souvenir, toute identité passée. C’est le changement de nom des religieux par exemple. Le MAT nous indique l’inverse. Il a certes réduit ses affaires, son histoire personnelle pour qu’elles tiennent dans un simple sac mais il n’empêche que ce sac existe bel et bien !
Ici plus qu’ailleurs le dogmatisme est contre productif. Nier, refuser son “héritage”, sa “famille” ou son conditionnement ne sert à rien. Vous allez juste perdre de l’énergie et du temps à devoir recréer un conditionnement. Pourquoi ne pas faire avec ce que vous avez ? Le MAT n’a gardé que le plus important, l’essence de son individualité. Mais ces éléments lui sont indispensables pour continuer à avancer.
Au delà de l’illusion du pouvoir
La signification du TAV est le sceau de Dieu, la totalité, l’aboutissement de toute chose. Souvent les Kabbalistes placent le MAT en arcane 21 avec le Shin en référence et Le Monde en arcane 22 avec TAV le sceau de Dieu. Mais le Shin étant le feu créateur quel rapport avec celui qui justement fuit cette flamme ?
Peut-être font-ils une erreur en croyant que Le MONDE est la fin ? Peut-être que Dieu marque de son sceau (la croix) les “simples en Esprit” pour que nous autres, qui cherchons le pouvoir et l’achèvement, les reconnaissions ? Au lieu de cela nous déformons la réalité et avons peur du pauvre MAT, du pauvre “fol”.
Abandonner.
C’est la pierre d’achoppement de l’arcane 22. Rappelez vous juste avant lui, si on prend un ordre linéaire, que le Pèlerin était “en gloire” illuminé et bienheureux dans son rhombe, son corps de gloire, et que le Monde (arcane 21, Shin) était en lui et devant lui. C’est à ce moment que le MAT / TAV peut apparaitre.
Pour moi le MAT c’est un peu comme si, une fois arrivé à ce que le MONDE lui dit être un aboutissement, le Pèlerin percevait que la Vie ne se limitait pas à ça. Alors qu’il détient dans ses mains les clés du pouvoir total il choisit volontairement de sortir du rhombe, de sortir de la matrice du réel pour partir explorer l’inconnu et peut-être même l’inconnaissable.
Le MAT symbolise la quête sans fin, la fuite aussi bien sûr, mais surtout l’essence même du chemin, à savoir marcher, avancer, gravir, découvrir, explorer, aimer, abandonner, abandonner, abandonner…
Le MAT abandonne le monde des humains, le monde des formes. Ravatin dirait de lui qu’il devient une forme presque totalement délocalisée, liée au Global. Le MAT choisit d’abandonner la perfection promise dans Le Monde / Demon. Il abandonne le pouvoir que brandit l’Empereur, il abandonne même l’idée du repos promis dans l’arcane 13.
Certains pourraient prendre la quête d’infini du MAT pour de la vanité alors que ce n’est qu’une nécessité. La voie du MAT n’a rien de facile, ni de plaisant, il n’y a rien non plus de douloureux ou de masochiste. C’est la voie de l’abandon total à l’Esprit de la Voie. La suffisance ne peut pas s’en nourrir.
Le dernier e(s)t le premier, au delà des formes et de l’informulé
Les apparences sont trompeuses et le MAT en est la superbe représentation. Le MAT est ce que vous voulez qu’il soit. Bouffon, mendiant, fou ou grand prêtre du Temple. La seule personne pour qui cela à de l’importance c’est vous. Lui a déjà accepté de tout perdre pour rejoindre le flux et le reflux, pour arpenter encore le chemin.
Il n’en est pas heureux, il n’en est pas malheureux, il est juste en transition permanente, en cours de délocalisation / localisation. Un fantôme vivant, un individu disparaissant.
Le MAT indique un changement radical de vie. Faire demi-tour et se terrer ou avancer sans plus jamais se retourner. S’enfermer au fond de sa normalité ou nettoyer tellement notre ile du tonal qu’elle pourra nous accompagner vers l’infini et au delà. L’important n’est pas le choix qui est fait mais de faire et de suivre le chemin que fait émerger ce choix.
La carte du MAT ne peut pas se limiter à une 22ème place. Elle est à la fois avant le Bateleur (1) et après le Monde (21) mais elle est aussi en suspens derrière et devant chacune des 21 marches du Tarot de Marseille qui est, comme une carte routière, tout sauf linéaire. Le MAT se cache derrière l’Empereur, derrière l’Hermite, derrière la Tempérance, Le Soleil ou La Papesse.
C’est peut-être la chose la plus importante à retenir pour cet arcane. On ne peut pas le limiter, on ne peut pas le contenir, ni même avoir une prise sur lui. Il n’est localisé que pour pouvoir cheminer. Il n’appartient ni à cette cohérence ni à une autre. Le Pèlerin éternel en quête de cette voie ténue et fragile, le chemin qui a un coeur et qui ne mène qu’à un endroit : ailleurs!
Le MAT est le sceau / saut du Divin (TAV). Il est ICI e(s)t ICI. Peut-être me comprenez vous mieux que moi même, peut-être pas. L’arcane sans nombre c’est le vagabond céleste: il était, est et sera le Vide Plein, Yin Yang Mouvement
Le MAT, c’est le moment de faire le saut depuis sa falaise intérieure. Peut-être vous écraserez-vous en bas, peut-être pas… Ni vous, ni le MAT n’avez la réponse … C’est bien pour ça qu’il faut faire le pas !
Note & liens
Un autre avis sur l’arcane 22 LE MAT est disponible sur SECRETS DU TAROTS
- ICI Même une superbe bédé loufoque et poétique de l’excellent Jacques Tardi
- Leo Ferré – Ludwig comme j’adore ce morceau je vous en livre un peu la suite, à vous de suivre le lien pour en vivre plus
“…L’incroyable, c’est la porte de secours que je poussais
quelquefois, et personne jamais ne s’en est aperçu
La perversion m’obligeait à me rendre tel que les pervers
pouvaient m’imaginer, et encore… Cette perversion
tellement cachée au fond des mers conscientes
revues et corrigées par le cynisme des lois de préférence
pénales, je l’entendais au fond de moi, comme les accords
de la Neuvième que j’avalais de travers parce qu’engloutis
pêle-mêle dans ma bouche auriculaire, et je la rendais
à qui de droit, je veux dire aux inadaptés de l’esprit.
Ils croyaient que je me trompais alors que Stravinski c’était
déjà moi. Avec le sourire en plus.
Enfin… ce sourire tout près de vos larmes.
Il faut bien concéder. ça favorise et ça trompe les historiens…” - Les premiers pré alpha-bet(a)s permettant la fixation de l’écriture avaient surtout des raisons marchandes et pragmatiques qui pouvaient aussi parfois être rituelles. La transmission du Savoir ce faisait directement et par l’oralité. D’ailleurs, par exemple, la transmission du Savoir intéressait pas les grecs pré-antique.
Le Sage / le Devin / l’Aède est aimé des dieux. Sa capacité à Voir les desseins abstraits est un cadeau qu’il a travaillé, jamais une technique apprise. La seule chose qui se transmettait était une technique, un artisanat de la pensée. Socrate, comme Hippocrate, n’a pas été et n’a pas eu de disciple. Socrate ne transmettait rien d’autre que l’art de s’interroger et de trouver SA voie en tant qu’homme libre. Les interactions avec lui n’avait pour seul but que d’évoquer pas de transmettre. - A propos de la transmission du savoir dans l’antiquité grecque et romaine lire PERSEE
- Lire l’excellente analyse et point de vue de Laurent sur l’arcane 21 Le Monde / Demon
- Malkhut, Kether, ça ne vous parle pas ? Allez faire un tour sur le site d’un compagnon de route pour explorer, un peu, l’arbre des Sephiroth. Pour celles et ceux qui veulent en savoir un peu plus je vous conseille l’alphabet hébreu par VIRYA
- Les fous dans la société médiévale. Le témoignage de la littérature au XIIe et au XIIIe siècle toujours sur PERSEE.fr
WAHOU ! Et bien merci pour cet énorme article. J’aimerai en savoir plus sur votre vision du tarot pourriez vous me conseiller un livre ou au moins des pistes de recherche ? Merci encore pour tout ce travail