C’est le nom que les voyants ont donné au guide d’un clan de sorciers, un genre de charte de navigation, ou un livre de bord des missions et des devoirs d’un guerrier dans le cadre de ses pratiques.
Après une vérification exhaustive, les sorciers de l’ancien Mexique aboutirent à la conclusion que, de même que tous les êtres vivants possèdent un modèle biologique défini qui leur permet de se reproduire et d’évoluer, nous avons aussi un modèle énergétique responsable de notre développement en tant qu’être lumineux.
Le moule d’une espèce extrait son énergie de la Règle. La Règle est un genre d’utérus, elle contient un plan évolutif pour chaque être vivant, non seulement sur Terre, mais aussi dans chaque recoin de l’univers où existe la conscience. Personne ne peut se détacher d’elle. La seule chose que nous puissions faire est d’ignorer son existence, dans ce cas, nous n’atteindrons pas l’étape où nous pouvons devenir ce que nous sommes vraiment : une masse vivante au service d’un but qui nous dépasse.
Dit en termes de sorciers, la Règle est un diagramme des commandements de l’Aigle, une équation qui met en corrélation l’efficacité des actes avec l’économie d’énergie. Dans la sphère pratique, une telle combinaison ne peut produire autre chose qu’un guerrier.
La Règle est complète et couvre toutes les facettes du chemin du guerrier. Elle décrit comment un clan du nagual est créé et nourri, de quelle façon les générations sont connectées pour former une lignée, et comment elle les conduit à la liberté. Mais pour l’utiliser comme une clé de pouvoir, nous devons la vérifier par nous-mêmes. Elle est évidente pour le sorcier qui voit et pour un débutant le meilleur moyen pour attester de sa fonctionnalité consiste à détecter son intrusion dans sa vie quotidienne.
L’origine de la Règle
Cette matrice a toujours existé. Elle est à l’origine de l’ordre universel. Son opération et son but sont ignorés, pas parce qu’ils ne sont pas connus, mais parce qu’ils ne sont pas compris. Des centaines de générations de sorciers ont donné leur vie dans leur empressement à l’élucider, et à développer des propositions pratiques pour chacune de ses unités conceptuelles.
Quand les voyants de l’ancien Mexique entrèrent en contact avec d’autres entités conscientes sur cette Terre, beaucoup plus vieilles et plus expérimentées que les voyants eux-mêmes, ils commencèrent à acquérir des portions de la Règle. Un jour, ils virent que toutes ces portions s’adaptaient les unes aux autres comme un puzzle. Ce jour-là, ils découvrirent ce qu’ils appelèrent « la carte », et la lignée de voyants de l’Antiquité débuta.
Au travers de leur voir, ils vérifièrent chaque portion relative au rêve. Ils testèrent toutes les combinaisons et déterminèrent leurs effets sur la conscience. Ils organisèrent les exercices de rêver en sept niveaux de profondeur et ils pénétrèrent jusqu’aux lieux les plus intimes de l’univers. Petit à petit, ils développèrent le modèle du clan du nagual, une structure en forme de pyramide extrêmement stable, capable d’exprimer avec transparence les desseins du pouvoir.
Mais il y eut une chose que les anciens ne vérifièrent pas : la Règle pour les traqueurs. Ils voyaient traquer comme une possibilité latente qui ne valait pas la peine d’être explorée par la pratique, car en une époque ou être sorcier signifiait être au sommet de l’échelle sociale, traquer en tant qu’art n’avait aucun but. Cela aurait été un pauvre investissement. Mais lorsque la modalité du temps changea, cette ligne de raisonnement emporta les anciens voyants quasiment au bord de l’extinction.
Ce ne fut qu’avec l’apparition des Toltèques que la deuxième grande portion de la Règle révéla son extraordinaire contenu. Les lignées qui furent capables de l’appliquer furent les seules qui survécurent ; les autres furent dissoutes et se perdirent dans un tourbillon qui signifiait la fin du règne des anciens voyants. L’incorporation de la traque détermina la naissance des nouveaux voyants. Avec eux, la Règle du nagual fut complètement élucidée.
L’ère des nouveaux voyants commença il y a approximativement cinq mille ans, et atteignit son apogée aux temps de Tula (entre 900 et 1200 ap. J.C.) Au travers de la traque, la contribution fondamentale de ces guerriers à la sorcellerie fut la notion d’impeccabilité.
Un organisme impersonnel
L’objectif de la Règle du nagual est de générer des clans ; c’est-à-dire des organismes auto conscients capables de voler à l’intérieur de cette immensité-là. De tels organismes sont constitués de la somme d’un groupe de guerriers, qui ont harmonisé leurs intentions individuelles. Le but de cette conception est de perpétuer une dimension non humaine de la conscience. C’est-à-dire une dimension dont l’objectif n’est plus la personnalité.
Les êtres humains sont incapables d’entrer et de rester pour n’importe quelle durée de temps au royaume de la conscience cosmique – cette étape que don Juan appelait la « tierce attention ». Ou nous en sortons et oublions, ou nous y restons et fusionnons avec cette mer insondable. Mais le pouvoir qui nous gouverne a trouvé le moyen de contourner ces limitations, en créant des organismes dans lesquels les entités individuelles fonctionnent comme des membres.
Au cœur de ces organismes, une attention radicalement nouvelle est générée, une intention orientée vers l’exploration de l’inconnu, et l’investigation en équipes de ce que nous ne pourrions connaître autrement. Les sensations d’individualité n’ont plus de centre opératif, parce qu’elles sont substituées par quelque chose de beaucoup plus intense : vivre en étant une part du tout, un état d’énergie qu’aucun homme commun ne peut concevoir. Il n’y a aucune routine, aucun ego, il n’y a aucune ignorance, et il n’y a aucune interprétation. Ce type d’organisme n’est seulement qu’une étape sur la route infinie de la conscience, mais pour nous, en tant qu’êtres humains, cette étape est définitive.
Comment fonctionne la conscience d’un clan ? Faisons une analogie avec le corps physique. Bien que de façon très confuse, chacune de nos cellules est consciente de son unité et, à l’intérieur de certaines limites, peut agir avec indépendance. Cependant, leur intention individuelle est subordonnée à un but supérieur qui est de former le tout que nous appelons « moi ».
Lorsque nous arrivons à l’incroyable accomplissement de se rendre compte du but global, nous pouvons entrevoir une ligne évolutionnaire supérieure. Nous percevons la possibilité d’être intégré avec nos êtres énergétiques complémentaires, créant une forme de vie dont les buts sont très distants des intérêts de notre monde journalier, comme la conscience d’une seule cellule l’est de notre totalité. Les nouveaux voyants appellent cette forme de vie le clan du nagual.
Qui sont nos êtres énergétiques complémentaires ? Des êtres humains qui possèdent des caractéristiques lumineuses qui se complètent entre elles. L’énergie est récurrente ; elle génère des modèles que nous partageons tous. En général, on peut dire qu’il y a quatre modèles lumineux de base avec douze variantes, synthétisés par l’homme nagual et la femme nagual. Lorsqu’un tonal approche l’idéal lumineux de sa catégorie se manifeste un degré de conscience supérieur.
Quand les modèles idéaux se rencontrent, ils se combinent. Les sentiments d’attraction entre les êtres humains peuvent être expliqués comme étant le résultat de la fusion de leur moule d’énergie. Normalement, une telle fusion est partielle, mais parfois a lieu une vague soudaine et inexprimable de sympathie ; un voyant dirait qu’a lieu un acte de réciprocité d’énergie.
Les guerriers d’un clan se combinent de telle façon que leur relation produit des résultats optimaux dans le sens d’un gain et d’une accumulation de pouvoir.
Il est difficile de trouver des corps lumineux caractéristiques disponibles pour la tâche du nagual ; l’habituel est de trouver des tonals déformés par la vie mondaine. Mais quand un nagual est capable d’intégrer son clan, l’énergie de ses guerriers fusionne. Ils sacrifient leur individualité à un objectif supérieur, et revenir à leur précieux isolement n’est plus possible, cela ne signifierait que la mort pour eux. On peut dire qu’un clan n’est pas composé d’individualités, mais plutôt qu’il est un seul organisme vivant, avec des capacités qui ne sont pas humaines.
La formation d’un clan
Quelle conscience de l’objectif du clan a chacun de ses membres ? Une conscience totale ! Chacun d’entre eux connaît les histoires de pouvoir pertinentes à leur spécialité, et ils savent que leur fonction fait partie d’un but qui les transcende.
La relation entre la Règle et le clan est exprimée aux travers des tâches. Par exemple, quand les guerriers femelles d’un groupe reçoivent l’ordre de pister l’énergie dans l’espace jusqu’à ce qu’elles aient trouvé des candidats possibles pour une nouvelle génération de sorciers, elles se concentrent sur cette tâche comme si c’était leur avenue vers la liberté. Elles ne sont intéressées par rien d’autre. Si la discipline de cette intention échoue, le résultat peut être chaotique.
Le clan est un être auto conscient qui nous surpasse complètement. Participer à son intention est quelque chose de si exceptionnel qu’aussitôt qu’un apprenti entrevoit sa totalité, la position de son ego fond tout simplement. Cela n’implique pas qu’il devienne automatiquement impeccable ; pendant des années, il devra faire encore bien des efforts pour tempérer son caractère et pour extirper son importance personnelle, aussi bien que l’obsession de pouvoir.
Seul l’homme nagual et la femme nagual ont une vision totale de la fonction du clan. En poursuivant l’analogie, l’on peut dire qu’ils sont les cellules nerveuses du clan ; les unités qui dirigent le processus de perpétuation. Les autres membres servent de support, et portent les tâches concrètes de la duplication du groupe.
Le travail du nagual est épuisant. Il doit parfaitement contrôler les arts de traquer et rêver, il doit apprendre à voir et à développer au maximum sa capacité de manipulation, il doit servir d’exemple de sobriété afin de maintenir la cohésion du groupe ; s’il se permet d’être emporté par ses émotions, le résultat est la désintégration.
Cela parce que le clan est un organisme de masse critique. Si un seul de ses composants se détourne du but, le dysfonctionnement qui en résulte cause un effondrement, et tout devra être recommencé. C’est pour cette raison que le nagual est obligé d’exiger de ses guerriers qu’ils donnent le maximum d’eux-mêmes, et il doit leur distribuer leurs tâches afin qu’ils participent tous avec optimisme et confiance. Le lubrifiant du clan est l’impeccabilité de ses membres, et son combustible le désir ardent de liberté totale.
La structure du clan
La structure normale d’un clan est quadripartite, c’est-à-dire basée sur le chiffre 4, puisque la Règle a une forme pyramidale. Sa formation et sa croissance sont portées par cette structure de base essentielle. Comme dans les pyramides, l’architecture du groupe est composée d’une base avec quatre coins, chaque coin est formé de trois guerriers : un rêveur femelle, un traqueur femelle et un assistant mâle. Les coins sont connectés entre eux par des messagers, et au-dessus de tous, il y a le couple nagual.
La Règle se manifeste elle-même à un homme ou une femme double au moyen d’une vision, et ils doivent l’accepter pour être considérés comme naguals. Suivant cette acceptation, les naguals sont rejoints par leurs guerriers petit à petit, toujours suivant les signes de l’esprit. Leur capacité de mener est naturelle et incontestable, parce qu’étant double, ils reflètent chacun des types énergétique de leur clan.
Les naguals peuvent être définis comme un homme et une femme d’énergie extraordinaire, impliqués dans un acte de fécondation d’une portée infiniment plus grande que puisse connaître tout être humain. Aussi longtemps qu’ils restent ensemble, ils se présentent habituellement en société comme mari et femme.
La capacité de l’homme nagual est de trouver et d’utiliser les mots les plus appropriés pour exprimer les choses avec exactitude, clarté intellectuelle, fluidité et beauté. Parmi les voyants de la lignée à laquelle appartenait don Juan, le présage pour occuper cette place était d’être mourant. Tous ses meneurs, excepté moi, furent trouvés en de telles conditions. J’étais pour ma part un nagual excédentaire, non pas venu continuer la lignée, mais venu pour la sceller.
La femme nagual est la lumière qui guide l’effort, la vraie mère. Normalement, elle part avant le reste du groupe et reste en fluctuation entre la 1ère et la 2ème attention, visitant les apprentis en rêve. Elle fonctionne comme un phare et, si nécessaire, elle peut revenir de la seconde attention pour semer une nouvelle génération de voyants.
Pour en venir aux guerriers, ils viennent en deux bandes, les traqueurs et les rêveurs. Ils ont deux types de fonction : portails et gardiens.
Les portails appartiennent à la direction du sud, ils sont la passoire ou le filtre à travers lesquels les apprentis doivent passer. Ils déterminent si un guerrier reste ou part, et ils ont la plus grande influence sur la manière dont les membres de l’équipe sont fournis. Ils sont aussi les organisateurs des réunions de pouvoir.
Les gardiens sont une sorte de version extérieure des portails ; il y en a un blanc et un noir. Ils ont la charge de tout superviser pour la bonne fonction du groupe, ce qui signifie qu’ils sont alertés de possibles attaques extérieures, et ils se tiennent prêts à résoudre tout problème interne. Parmi les nouveaux voyants, les femmes se chargent de toutes ces fonctions.
Elles ont une plus grande mobilité et plus d’énergie que les hommes. Pratiquement tout l’univers est féminin par nature, et les équipes de sorcières y voyagent comme si c’était leur propre maison. Cette capacité de circuler sans interférence au travers de l’énergie obscure fait d’elles les batteries d’un groupe.
En revanche nous les hommes, sommes détectés immédiatement parce que notre énergie est claire et nous trahit. Aussi, comme nous n’avons pas été faits pour donner naissance, nous n’avons pas d’organe spécialisé pour rêver. A l’exception du nagual, les éléments mâles d’un clan n’ont pas beaucoup d’éclat.
Néanmoins, la Règle dicte que quatre guerriers mâles se consacrent à l’organisation, l’exploration et la compréhension. Dans ce but, ils fixent leurs points d’assemblage en des positions très spécifiques de l’énergie. Leur présence sert à stabiliser le groupe, neutralisant les explosions fréquentes de pouvoir qui allument les guerriers femelles. Si ce n’était pas ainsi, la structure exploserait aussitôt que les femmes auraient atteint un certain niveau d’efficacité. Ainsi, les hommes fonctionnent comme des ancres ; ils fixent le groupe jusqu’à ce qu’un maximum de pouvoir ait été obtenu.
Dû à sa forme, don Juan appelait le clan l’ « organisation du serpent ». C’est un concept qu’il a hérité des anciens voyants, et qui se réfère à la forme des motifs carrés sur la peau du serpent à sonnettes. Il affirmait que la tête de l’animal, avec ses yeux fixes et hypnotiques, représente le couple nagual. La poitrine correspond aux guerriers rêveurs, dont la fonction est d’inhaler les visions et de les redistribuer à tout le groupe. L’estomac représente les traqueurs, capable de digérer toute situation concevable. La queue est formée des assistants, qui sont chargés de donner de la mobilité au groupe. C’est une disposition très fluide.
Y-a-t-il des clans qui sont organisés différemment ? Les guerriers sont, dans une large mesure, le résultat de la manipulation implacable du nagual. Je suis sûr que tu peux comprendre comment, après des années sous cette constante pression, la forme d’un groupe – incluant la tonalité particulière adoptée par la luminosité de chacun de ses membres – devient très spécifique. C’est pourquoi tant de lignées de sorciers existent. Mais toutes ont, en gros, le même type de forme pyramidale que je t’ai décrit, car l’expérience a montré que c’était la formule la plus stable.
Le but de la Règle
Du point de vue de l’Aigle : explorer, vérifier, et développer la Règle. Chaque génération de guerriers doit laisser son empreinte, parce que la Règle est cumulative. L’héritage de la lignée consiste en une série de positions du point d’assemblage, auxquelles les clans suivants viendront ajouter leurs propres acquisitions. Il est normal que les lignées établissent des « journaux de bord » où les naguals notent leurs découvertes.
L’intérêt de base d’un organisme est de se reproduire. Par conséquent, une façon de la définir consisterait à dire que la Règle est la recette pour un processus reproducteur. Ce qui est recherché est la perpétuation de la conscience, quelque chose qui, au-delà d’un certain point, ne peut être réalisé par des conduits individuels. Les ressources que chaque guerrier acquiert personnellement durant son entraînement sont des accomplissements secondaires.
Du point de vue des sorciers, l’intérêt de se regrouper est de s’assurer le passage à un autre niveau d’attention, car sans masse énergétique il n’y a pas de vol. Cela signifie-t-il que les guerriers solitaires n’ont pas cette possibilité ? Non. Ce que je dis c’est qu’un clan peur aller beaucoup plus loin. Imagine que tu vis dans une colonie de chenilles grégaires qui sont à l’état de métamorphose. Soudainement, l’un des cocons s’ouvre, et son résident part dans une exploration momentanée de lumière et de couleurs. La sensation qu’il te laisse est celle d’une chenille disparue. Pour la chenille, en revanche, sa vraie vie en tant que papillon aura commencé. Bon ! Une chenille solitaire finira vraisemblablement dans l’estomac d’un oiseau.
De la même façon, l’objectif final des guerriers est le saut définitif dans la tierce attention ; la libération de toutes les formes d’interprétation. La quantité d’énergie nécessaire pour cela ne peut être obtenue qu’au moyen du consensus spécial d’une masse critique, afin de générer les accords nécessaires pour compacter l’énergie.
Cependant, comme beaucoup de clans sont incapables d’atteindre leur plénitude d’énergie, les naguals ont construit une oasis habitable au sein de la seconde attention, un énorme édifice d’intention situé dans une lointaine région du rêve, où les voyants vont seuls ou en petits groupes. Je l’appelle le « dôme de l’intention », parce que sa forme visible est celle d’un dôme, mais don Juan préférait l’appeler « le cimetière des naguals ». Séjourner dans cet espace pour y vivre implique la mort littérale du sorcier. Dans un sens pas du tout allégorique, c’est un cimetière. Bien que ceux qui choisissent ce destin aient accompli l’expansion de la conscience pour une énorme période de temps, ils devront la laisser quand viendra le moment.
Donc, pour beaucoup de sorciers, l’objectif immédiat du clan est le dôme des naguals, chacun espérant être capable de l’utiliser comme un port où il pourra accumuler des provisions pour une plus grande expédition. Pour y aller, il n’est pas nécessaire que le groupe entier parte en même temps. Parfois, les guerriers choisissent de s’y rendre un par un. Dans ce cas, ils peuvent revenir partiellement, jusqu’à ce que la structure énergétique du groupe soit complète.
Ainsi les défis dans lesquels les guerriers sont impliqués durant leur existence humaine sont à peine des préludes ; les choses vraiment terribles viennent plus tard. Ne te demande pas à quoi ils se consacrent pendant qu’ils restent dans ce monde ; cela sonnerait comme un conte de fées. L’important est que toutes leurs activités sont gouvernées par la Règle.
La Règle peut-elle être interprétée comme l’équivalent préhispanique de ce que d’autres cultures ont appelé « lois divines », c’est-à-dire un groupe de plans régulateurs conçus pour sauver l’Homme ? Ce n’est pas pareil, parce que cela ne vient pas d’un être suprême. Le mécanisme de la Règle est impersonnel, il n’a ni gentillesse ni compassion. Il n’a d’autres objectifs que sa propre continuité. En se permettant d’être séduits par les analogies, les anciens voyants firent l’erreur d’identifier la Règle avec leurs interprétations particulières, ils finirent alors par la vénérer et érigèrent des temples en son honneur. Les nouveaux voyants rejetèrent tout cela. Lorsqu’ils explorèrent l’art de traquer, ils dépoussiérèrent l’essence de la sorcellerie et redécouvrirent l’objectif de la liberté totale, qui ne ressemble en aucune façon aux objectifs religieux. Cela effaça la fascination du moule humain, mais eut un effet secondaire que je t’ai déjà expliqué : l’enthousiasme sauvage des anciens voyants fut substitué par des attitudes furtives et suspicieuses.
A la fin, traquer eut sur les clans de naguals l’effet de trahir les mobiles initiaux. Avec le temps, le but de la liberté totale fut réduit à de la rhétorique. Presque tous les sorciers de la lignée de don Juan ont préféré le vol vers la seconde attention. A l’exception du nagual Osorio, aucun d’eux ne voulait être privé de l’aventure et de l’extase à visiter le dôme des naguals, construit par intention, situé dans une des étoiles de la constellation d’Orion.
Les naguals à trois points
La Règle est définitive, mais son design et sa configuration sont en évolution constante. Cependant, contrairement aux évolutionnistes qui voient les adaptations de la vie comme une accumulation hasardeuse de mutations génétiques, les voyants savent qu’il n’y a pas de hasard à propos de la Règle. Ils voient comment un ordre de l’Aigle, sous la forme d’une vague d’énergie, secoue les lignées de pouvoir de temps en temps, produisant de nouvelles étapes dans la sorcellerie. Une façon plus exacte de la décrire est de présumer que toutes les variations possibles de la Règle sont contenues dans une matrice antérieure, et que ce qui change avec le temps est le degré de connaissance que les sorciers ont de cette totalité, et quelle emphase ils développent pour certaines de ses portions. De telles périodes de changement sont récurrentes et sont représentées par le nombre trois.
Cela parce que les vieux Toltèques associaient le nombre 3 avec le dynamisme et le renouvellement. Ils découvrirent que les formations ternaires annoncent des changements inattendus.
La Règle dicta cela pour que, de temps en temps, un type spécial de nagual apparaisse dans les lignées ; un nagual dont l’énergie n’est pas divisée en quatre parties, mais en seulement trois compartiments. Les voyants les appellent « naguals à trois points ».
Leur énergie est volatile, ils sont toujours en mouvement et, pour cette raison, il leur est difficile d’accumuler du pouvoir. Du point de vue de la lignée, leur composition est défectueuse ; ils ne seront jamais de vrais naguals. En compensation, ils n’ont pas la timidité et la réserve qui caractérisent les naguals classiques, et ils possèdent une capacité exceptionnelle à improviser et à communiquer.
On pourrait dire que les naguals à trois points sont comme les œufs du coucou qui sont incubés dans le nid des autres oiseaux. Ils sont opportunistes, mais ils sont nécessaires. Contrairement aux naguals à 4 points, dont la liberté est de passer inaperçu, ceux à 3 points sont des personnalités publiques. Ils divulguent les secrets et apportent la fragmentation des enseignements, mais sans eux les lignées de pouvoir seraient éteintes depuis longtemps.
Parmi les nouveaux voyants, la Règle dit qu’un nagual s’en va en laissant un nouveau clan. Quelques-uns, par leur surplus d’énergie énorme, sont capables d’aider à l’organisation d’une seconde, voire d’une troisième génération de voyants. Par exemple, le nagual Elias Ulloa vécut assez longtemps pour créer le clan de son successeur, et avoir une influence sur le suivant. Mais cela ne signifie pas que la lignée fourchait ; tous ces groupes faisaient partie de la même ligne de transmission.
Par ailleurs, le nagual à 3 points est autorisé à transmettre sa connaissance de façon radiale, ce qui conduit à la diversification des lignées. Son cocon lumineux a un effet de désintégration sur le groupe qui casse la structure linéaire de transmission, et fomente un désir de changement et d’action chez les guerriers, ainsi qu’une intense disposition à être impliqués avec leurs compagnons.
Cela s’est passé avec moi ; dû à ma constitution lumineuse, je n’ai aucun problème à laisser des foyers de connaissance derrière moi. Je sais que j’ai besoin d’une quantité énorme d’énergie pour remplir ma tâche, et que je peux seulement l’obtenir d’une masse. Pour cette raison, que je suis disposé à diffuser largement la connaissance, à transformer et redéfinir les paradigmes.
La portion de la Règle concernant le nagual à trois points
Comme tu le sais, mon maître prit conscience de la Règle du nagual à trois points quand il essaya d’analyser certaines anomalies à l’intérieur du nouveau groupe. Apparemment, je n’étais pas synchronisé avec le reste des apprentis. Alors il me consacra suffisamment d’attention pour voir que je masquais ma configuration énergétique.
Cela veut-il dire que la vision de don Juan était une méprise ? Bien sûr que non ! Voir est la forme finale de la perception ; il n’y a pas d’apparences, il est donc impossible de confondre. Cependant, en raison de la pression qu’il projeta sur moi pendant des années, mon énergie lutta pour se mouler à la sienne. C’est très commun chez les apprentis. Comme il était divisé en quatre compartiments, j’ai commencé à manifester une charge énergétique similaire dans mes actions. Une fois que je fus capable de me débarrasser de son influence – ce qui me prit presque dix années de travail ardu -, nous découvrîmes quelque chose d’étonnant : ma luminosité n’avait que trois compartiments ; cela ne correspondait pas à une personne moderne et ordinaire qui n’en a que deux, ni à un nagual. Cette découverte fut un grand choc dans le groupe de voyants, car ils le virent tous comme un changement profond et important pour la lignée.
Alors, don Juan revint à la tradition de ses prédécesseurs, et dépoussiéra un aspect oublié de la Règle. Il me dit que l’élection d’un nagual ne peut en aucune manière être considérée comme un caprice personnel, car en tout temps, c’est l’esprit qui choisit le successeur d’une lignée. Par conséquent, mon anomalie énergétique faisait partie d’un ordre. Face à toutes mes questions urgentes, il m’assura qu’un messager apparaîtrait en temps voulu, et m’expliquerait la fonction de ma présence en tant que nagual à 3 points.
La portion de la Règle concernant le nagual à trois points affirme que, tout comme le clan a une matrice d’énergie de nombre 17 (2 naguals, 4 femmes rêveurs, 4 femmes traqueurs, 4 guerriers mâles, et 3 éclaireurs), la lignée, qui est formée par une succession de clans, a aussi une structure de pouvoir, de nombre 52. L’ordre de l’Aigle est qu’à chaque 52ème génération de naguals à quatre points, apparaisse un nagual à trois points, qui a une action cathartique pour la propagation de nouvelles lignées à quatre points.
La Règle dit aussi que les naguals à trois points sont destructeurs de l’ordre établi, parce que leur nature n’est ni créative ni nourrissante, et ils ont tendance à asservir tous ceux qui l’entourent. Elle ajoute que ces naguals doivent parvenir seuls à la liberté, parce que leur énergie n’est pas réglée pour guider des groupes de guerriers.
Comme tout dans le monde de l’énergie, le bloc de 52 générations est divisé en deux parties, les 26 premiers se consacrent à l’expansion et à la création de nouvelles lignées, le reste est orienté vers la conservation et l’isolement. Ce modèle de comportement a été répété millénaire après millénaire, c’est pourquoi les sorciers savent que c’est une partie de la Règle.
En résultante des activités du nagual à trois points, la connaissance devient largement connue, et de nouvelles cellules de naguals à quatre points se forment. A partir de là, les lignées reprennent à nouveau la tradition de transmettre l’enseignement selon une forme linéaire.
Les naguals à trois points apparaissent approximativement une fois par millénaire. C’est l’âge de ma lignée.
La tâche des voyants d’aujourd’hui
Par la vérification de la Règle du nagual à trois points, don Juan en déduisit qu’inévitablement le temps d’une nouvelle espèce de guerriers était proche ; je les ai appelés les voyants modernes.
Y-a-t-il des particularités dans la composition lumineuse de ces guerriers ? Non. A toutes les ères, le modèle de l’énergie de l’homme a été très homogène, donc l’organisation du clan est la même. Cependant, les guerriers d’aujourd’hui font l’expérience d’un glissement vers le vert dans leur luminosité, ce qui signifie qu’ils sont en train de retrouver des caractéristiques des anciens voyants. C’est quelque chose d’imprévu, bien que cela soit, bien sûr, couvert par la Règle. La vraie différence entre les voyants du passé et ceux de notre époque est dans leur comportement. En ce moment, nous ne sommes pas sujets aux mêmes répressions que dans les ères précédentes, et par conséquent, les sorciers ont moins de restrictions. Tout cela dans un but très clair : la popularisation de l’enseignement.
J’ai vécu un moment de renouvellement. Ma tâche est de fermer la lignée de don Juan avec une clé d’or, et d’ouvrir les possibilités pour celles qui viennent plus tard. C’est pourquoi j’ai dit que je suis le dernier nagual de ma lignée, pas dans un sens absolu, mais dans un sens de changement radical.
L’enseignement définitif dit que, dans la connexion avec l’intention, toute personne – qui que ce soit – qui approche le nagual, a sa place dans le contexte total de la Règle. Alors tu n’es pas seul, les sorciers attendent quelque chose de toi.
Tous les guerriers ont une tâche. La tienne est que tu accomplisses ce que l’esprit t’a demandé de faire ; c’est ta voie de pouvoir. Ta mission personnelle est quelque chose que ton benefactor te communiquera un jour. Cependant, en accord avec la Règle du nagual à trois points, je poursuis une stratégie à long terme élaborée par don Juan qui t’engage avec l’intention de mon maître. Ce qui est attendu de toi est de dire à ceux qui t’entourent : « Vous êtes libres, vous pouvez voler par vous-mêmes ! Vous avez l’information nécessaire, qu’attendez-vous ? Agissez impeccablement et voyez comment l’énergie trouve son chemin. »
Dis à tout le monde qu’avec la culmination de la lignée de don Juan (le dernier clan a accédé à la tierce attention), la connaissance est grande ouverte. Chaque guerrier est responsable pour lui-même, et il peut lui être donné l’occasion minimale d’organiser son propre clan.