Amour, l’amour conditionnel, l’Ame mour – partie 1
« Ce sera nous, dès demain, Ce sera nous, le chemin, Pour que l’amour, Qu’on saura se donner, Nous donne l’envie d’aimer … » Vous connaissez la suite de la chanson je suppose ? Non, bon moi non plus. La phrase de toute manière est assez mystérieuse je trouve, la poésie sans doute. Bon en même temps l’Amour est une chose très mystérieuse en elle-même, vous ne trouvez pas ? La semaine dernière j’animais un atelier conférence sur le thème « un couple amoureux, ça existe ? » et ma première question fut « pour vous c’est quoi « l’Aamour » ? Amour inconditionnel et amour conditionnel. Sont-ils opposés ? L’Amour existe-t-il ? Peut-on le définir ? Et l’amour au quotidien, c’est quoi ?
Attention je ne vais pas parler du couple, ni de la tendresse, pas plus que de pratiques amoureuses, mais juste de l’amour et de l’Amour.
L’article, pour le rendre plus digeste, sera donc divisé en deux parties. J’espère soulever des questions et vos commentaires acerbes, histoire de nous enrichir et de démystifier l’amour, conditionnel, pour le sublimer en Amour, inconditionnel.
L’amour conditionnel
C’est hélas ce que nous nommons facilement l’amour. Désolé, peut-être que ça va déplaire mais moi j’appelle ça du business affectif. Tu me donnes quelque chose dont j’ai besoin et je te donne quelque chose que tu veux. La base de tout échange commercial classique. Et cette confusion entre amour et négoce commence très tôt.
L’enfance, je t’aime si …
Nous ne sommes pas modelés ni conditionnés par des grands principes mais bien plus par des petites injonctions répétées au quotidien, le principe de la pub. Enfant, les petites injonctions qui nous font associer mérite, vertu et amour du type : « Si tu me dis pas la vérité, maman / papa ne va pas être content ». « Si tu pleures, papa / maman va être en colère ». L’ensemble est renforcé par la scolarisation et la socialisation hors de la cellule familiale. Ici, encore plus que dans la famille, le résultat par rapport à un critère de réussite extérieur prend de l’importance.
Satisfaire l’attente, le résultat voulu par l’autre, est la clé pour être apprécié. « C’est bien tu as eu une bonne note, tu as droit à un cadeau » (c’est un bon chien chien ça, sussucre).
Ces petites injonctions qui, comme les perles d’un collier, font reculer en nous le fait d’être Aimé pour qui on est. Remplaçant l’Amour inconditionnel par l’amour conditionnel. Être apprécié pour ce que l’on fait.
Alors ça marche à tous les niveaux. Intellectuel, avoir de bons résultats, pas forcément avoir compris mais avoir répondu juste, quitte à tricher. Affectif, dire la vérité, être convenable et faire le bisou à la vieille dame avec plein de nivea sur la gueule par exemple. Physique, les phobies familiales, vous connaissez ? Imaginez vous petit.e gros.se dans une famille de danseurs ? Ou taillé comme une flûte dans une famille de Gersois tous 2ème ligne de rugby depuis 4 générations …
Puis on grandit, l’ado…
Le moment clé où la personnalité, les croyances, se mettent en place. On veut se différencier du groupe familial, création de son ego, mais en s’incluant dans un autre groupe, besoin de protection et de sécurité instinctif, lié à l’ego au passage. Pour détailler cette partie il y a de multiples ouvrages de psycho et de socio.
Ici encore pour être aimé, reconnu, « acheté » par un groupe, on va enfiler un costume et faire nos preuves. On va mériter sa place, la sécurité que nous offre ce groupe, famille. Ca touche toutes les parties de notre vie, la manière de parler, de s’habiller, les jeux auxquels on joue, les clopes, pétards et autres récréatifs. Perso j’étais dans le groupe des punks anarchistes, je m’imagine pas dire à mes potes, « mes ami.e.s pour la vie de cette époque » : » heu désolé les gars mais je fume pas, je bois pas parce que ce week end j’ai un tournoi de badminton ».
Mieux vaut être mal accompagné que seul
Nous cherchons tous à ne pas être seul ! Peut-être une résurgence archétypale du moment où l’environnement naturel était hostile ? Ou peut-être la mémoire du bébé qui, sans la présence du sein de sa mère ou de celui qui tient le biberon, sait qu’il n’y a pas de salut ? Je ne suis sûr de rien, le fait est que la plus grande peur de 95% des humains c’est d’être seul.
Donc depuis l’enfance on nous apprend que pour être aimé / acheté par un groupe / famille, il faut respecter les règles de ce groupe / famille. Si on veut être aimé de pépé et qu’il est syndicaliste FO, autant pas mettre un Chevignon ou un Lacoste. Si on veut être aimé par papa, directeur de Sanofi, être contre les vaccins n’est pas la manière idéale de recevoir son approbation (encore que).
L’amour devient, gentiment, une forme de deal marchand pouvant se résumer par l’équation mathématique :
Si je fais / suis…
Alors ils vont …
Je suis grand, je cherche l’amour !
Voilà on y est, on est « autonome », on gagne sa vie, ou on va la gagner. On pourrait se dire qu’à partir de ce moment on va reprendre les rênes de nos vies, arrêter les faux semblants et redevenir juste nous-mêmes…
Hélas le Je(u) du départ est devenu un je(u) pas rigolo, répondant aux règles acquises par un groupe, une époque, des événements conjoncturels. Ce je(u) a été modelé en fonction des jeux d’attirance / répulsion pour ne pas être seul. Le Je(u) intérieur, l’aspiration à … est caché quelque part mais ce qui prédomine, c’est la peur.
La normalité affichée n’est que l’outil d’intégration dans un groupe pour sécuriser son environnement.
L’Amour a disparu, c’est devenu la relation privilégiée que nous avons avec d’autres. Nous avons notre cercle d’ami.e.s. Ceux du sport, ceux du taf, ou les ami.e.s d’enfance. Chaque fois nous enfilons le masque qu’il convient d’enfiler. On ne parle pas ésotérisme à nos ami.e.s des ressources humaines et on ne parle pas plan comptable avec nos potes du cercle « Esprit es-tu là ? ».
Le besoin urgent de sécurité remplace le besoin de communion*.
Nous en souffrons, nous cherchons ce Je(u) dans les relations, dans la satisfaction de besoins, qu’ils soient matériels, spirituels, affectifs, sexuels… Chaque fois ce besoin de satisfaire répond à une peur. Cette peur / inconfort est directement issue du traitement de l’information de conditionnement reçue en amont. Pour rappel, le conditionnement et les personnes / entités / groupes le générant ne sont qu’en partie responsables de ce que nous en faisons. Les premiers responsables c’est nous !
Ce besoin de sécurité, de fuite de l’inconfort, se traduit notamment par :
Les demandes à répétition du style « Dis est-ce que tu m’aimes ? » auprès de figures rassurantes, conjoints, parents, gourous, enseignants, médecins … Mais la réponse n’est jamais entendue, ou très brièvement.
Un contrôle illusoire sur l’environnement. Que celui ci soit humain ou naturel. J’ai peur pour l’avenir donc je vais mettre un max de pression sur mes enfants pour qu’ils aient le plus de sécurité dans leur propre futur. « C’est cool tu fais du théâtre mais c’est quoi ton vrai métier ? ».
Ou dans un autre genre j’ai peur de vieillir et de ne plus être aimable donc je me fais refaire les seins, la bouche, le cul, la chatte… Je prends cet exemple parce qu’il m’énerve au quotidien mais tous les « J’ai peur de … donc je … » sont valables.
… La peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale …
Dune, Franck Herbert
Les peurs de bases, ferments de l’amour conditionnel
La peur d’être pauvre. Celle de la maladie /folie. Bien sûr la peur d’aimer / être aimé. La peur de perdre le contrôle / contrôler. Chacune renvoyant à la peur fondamentale en lien avec La Séparation, qui n’est pas que génitale, la peur d’être Seul.
Si vous n’êtes pas d’accord et que vous avez un chat et internet … Enlevez votre chat et coupez internet et on en reparle.
amour conditionnel = moyen de chasser l’inconfort émotionnel
L’amour devient à ce moment là un raccourci pour dire : relation me permettant de ne pas être seul. Relation me permettant de trouver un confort dans ma névrose. Attention je ne le blâme pas, je suis dans le même cas que vous. Juste un peu d’honnêteté de temps en temps me semble être salvateur.
Donc n’appelons pas amour ce qui est de la négociation émotionnelle.
C’est le refus de l’inconfort créé par des peurs acquises qui nous fait chercher des solutions immédiates. Ces solutions à très court terme ne servant qu’à renforcer la sensation de manque interne. Un peu comme boire de l’eau quand on n’a pas mangé depuis 48 heures. On est satisfait un court laps de temps puis l’envie, le besoin, l’urgence revient. La Faim, elle, ne fait que croître jusqu’au moment où les forces vitales, épuisées par cette quête extérieure d’un sentiment intérieur, nous abandonnent et nous renonçons… Enfin !
Pourquoi est-ce que j’écris « enfin ! » ? On le verra en détail dans la partie suivante, l’Amour inconditionnel. En bref, souvent c’est dans le renoncement actif, la détente qu’il insuffle, qu’une tension se libère et qu’on génère suffisamment d’espace pour que quelque chose d’autre puisse émerger / immerger. J’emploie les deux termes à dessein. L’Amour n’est pas Blanc ou Noir, dedans ou dehors, il est une force de re – liaison.
Amour meurt, l’Ame meurt comme meurent les rivières :
Voilà on est un « adulte » (1), on gère trop bien mais il faut quand même veiller à cacher tout ce qui peut dépasser, histoire de pas se mettre en danger. Le cacher aux yeux des autres mais aussi, voire surtout, aux yeux des gens qu’on aime.
A titre d’exemple. Pas mal de mes ami.e.s homo ont informé.e.s en dernier leur propre famille. Pareil, les copines qui travaillent dans le milieu du, j’adore ce terme, divertissement pour adulte, en gros les putes, camgirl, actrices porno et autres effeuilleuses, leur entourage amical restreint était souvent au courant avant leur conjoint ou leur famille. Des exemples comme ça, on peut en sortir des tonnes et pas que dans le cul.
Pourtant ces gens qui nous aiment devraient être les premiers à accepter qui nous sommes vraiment, non ?
Il me semble logique de mettre le moins de masques possible devant les personnes que j’aime, sinon comment être aimé ? Je reprends l’exemple d’une attirance homosexuelle. Si j’affiche en permanence un masque de coureur de jupons et de don juan alors que ce n’est réellement pas moi, qui mes ami.e.s, qui vient de aimer, aiment-ils ? Moi ou l’image du don juan ? Pareil, si j’affiche un sourire très convivial en permanence alors qu’en fond sonore mon dialogue intérieur est composé de trucs du genre « blaireaux, fils de pute, crétins, enculés, bâtards … »
Qui mes proches apprécient-ils ? Moi ou le masque du gentil gars ?
L’amour conditionnel, premier pas d’Amour.
Je pourrais continuer pendant des heures, ça mériterait un livre. Mais bon je suis de moins en moins persuadé de l’intérêt de tels propos, alors en faire une étude me semble être beaucoup d’énergie dépensée pour pas grand chose. Vous êtes intelligents, je suis sûr que vous saurez vous servir de ce point de vue pour faire votre propre chemin.
Je vais finir en précisant que je ne suis pas différent de vous. Je constate simplement, je n’ai pas peur de me dévoiler la face.
Nous avons tous un ego. Le hic c’est que le refuser, s’accabler, ne permet pas de grandir ni de se sentir moins mal-heureux. Respecter le fait d’avoir peur. Comprendre toutes ou parties des raisons qui nous poussent à être dans l’amour conditionnel, c’est déjà un premier pas vers autre chose. Agir du mieux qu’on peut n’est pas agir avec perfection, c’est les bases de la Gentillesse.
Je suis assez épicurien et recherche donc l’absence de déplaisir (différent de l’hédonisme 2). Quand celui-ci est présent, je m’efforce de l’accepter et d’en tirer du plaisir (là c’est de l’hédonisme). Mais pour moi le déplaisir vient surtout de l’attente, l’espoir de. Plus encore, la souffrance est liée à l’importance, l’attachement, qu’on plaque sur ce désir / peur. Je suis encore très, trop, souvent dans l’amour conditionnel, mais en allégeant l’importance que je donne à mes peurs et exigences au quotidien, j’allège le besoin d’être aimé / aimer conditionnellement. Quelque chose de l’ordre de l’émerveillement délicat grandit en moi pas après pas. Mais ça on en parle dans la partie deux, l’Amour inconditionnel.
Notes et liens
*A propos de communion dans le passage « Le besoin de sécurité, d’urgence, remplace le besoin de communion. » : J’expliciterai un peu plus dans la suite mais ne confondez pas communion et fusion, c’est un travers que le petit enfant apeuré prend souvent et cette nuance demande un effort de chaque instant tellement notre Peur / Amour du Vide est grande.
(1) Adulte : étymologie. Personne parvenue à sa maturité psychologique et intellectuelle. Peut-on employer ce terme pour parler de personnes ayant des comportements dignes d’une cour de récréation ? Ou des manques, des névroses, en lien direct avec des blessures égotiques de l’enfance ? Langue des oiseaux ad ultima, vers l’ultime, allégorie poétique pour dire vers la mort.
(2) Epicure : On pourrait y passer des heures et les concepts d’Epicure ont leurs limites mais la page wikipedia est pas mal, je trouve, pour enfin faire la différence entre Epicurien et Hédoniste.
Homogamie. 26 septembre 2014 – 83,4 % des ouvriers vivent avec une ouvrière ou une employée, contre 2,2 % avec une femme cadre supérieure. Le choix du conjoint reste lié à la position sociale. Sur le long terme (40 ans) on peut constater une inflexion de cette courbe par l’homogénéisation des classes populaires et moyennes. Lien vers les travaux du sociologue Milan Bouchet-Valat PDF. Article sur Inegalites.fr
Sociologie du mariage : une étude de 1989 qu’il serait bon d’actualiser mais qui me semble valable encore actuellement.
La religion de l’amûrrr, les dangers du New Age sur le site LauraMarie
Une bien jolie réflexion, merci
Le plus difficile dans l’amour, c’est d’accepter d’aimer l’autre, de s’aimer soi-même pour ce qu’il (elle) est, ce que je suis et pas pour ce que je voudrais qu’il (elle) soit, ce que je voudrais être…
Mais quand on y parvient… c’est sans doute ça, ce que les croyants nomment Paradis… en tout cas, c’est l’idée que je m’en fais…
Mais que n’avais je point vu vos commentaires ! Merci donc. Ce que j’aime dans ton commentaire Palli c’est qu’il résume tout : c’est super simple mais c’est super complexe à expliquer et on a vite fait de se mélanger les pinceaux. Pour moi le premier pas à faire est justement de ne pas avoir besoin ou chercher quoi que ce soit dans le regards de l’autre. Hyper fastoche. Bien souvent on va aimer pour être aimer. Et, c’est la partie de l’amour inconditionnel qui n’est toujours pas arrivé, ce n’est pas de l’amour. Donc avant de songer à aimer et encore plus à être aimer, comblons le vide sidéral à l’intérieur de nous mêmes. Acceptons que l’autre n’est pas dieu et ne peux rien pour nous, ni nous faire jouir, ni nous sauver et encore moins nous empecher de souffrir, mourir, vieillir … bon sauf si c’est un homme agée avec une grande toge blanche et qu’il brille plus que Fukushima dans la nuit. La je dis pas 😉