La loi des Sames, de Lars Pettersson, retour de lecture
“En Laponie norvégienne, les Sames, peuple autochtone, continuent à vivre de l’élevage des rennes et selon des traditions ancestrales. Certains restent, d’autres partent, comme Anna, qui mène son existence en Suède, où elle a été nommée substitut du procureur. Son cousin Nils, lui, est resté, et il vient d’être accusé de viol. Devoir de famille, c’est Anna qui est chargée de trouver un arrangement avec la plaignante. Elle retourne alors chez les Sames, dans ces contrées reculées qui n’évoquent pour elle que de vieux souvenirs d’enfance. Là, entre les menaces qu’elle subit et les vérités qu’on lui cache, la jeune femme comprend vite que cette affaire de viol n’est que la partie émergée d’une enquête qu’elle va devoir mener. Même, si à la lumière des aurores boréales, la nature somptueuse et meurtrière semble parfois imposer sa loi aux hommes.”
Voilà, le décor est planté. On est à Kautokeino, coincés entre des températures super basses, des gens qui parlent à demi-mots et des jours très courts. Les membres du peuple Same sont peu loquaces, c’est le moins qu’on puisse dire. Ils n’essaient pas d’expliquer, d’argumenter ou de se justifier. Ca donne donc un livre avec peu de dialogues. Un premier petit extrait :
-Et là tu es en vacances ?
-Un genre de vacances, oui.
Il me sourit. Savait aussi bien que moi pourquoi j’étais ici (ndlr : essayer d’aider son cousin accusé de viol). Mais à la manière same, puisque tout le monde le savait, on avait naturellement pas besoin d’en parler. Dans la mesure où on savait déjà, en parler aurait même pu être considéré comme inconvenant.
C’était ma mère qui m’avait appris cela. Ce que l’on taisait avait plus de poids que ce dont on parlait tout le temps. Il fallait apprendre à déchiffrer ce qui n’était pas dit. L’art véritable de la conversation consistait à comprendre ce qui se cachait derrière les paroles que l’on prononçait réellement. Une vie en sous-texte.
Ce livre n’est pas le plus incroyable que j’ai lu et pourtant, il est resté longtemps dans un recoin de mon esprit, ou de mon coeur. Les personnages ne sont pas particulièrement attachant et je pense que c’est une volonté de l’auteur. On connaît très peu de choses sur chaque protagoniste, mais on chemine avec respect à leurs côtés au fil des pages.
C’est dur de mettre des mots sur le ressenti que j’ai eu à la lecture de ce roman… Je crois que l’auteur nous offre un aperçu de ce peuple Same (ou Lapon mais ce terme est originellement péjoratif, issu de la racine lapp qui signifie porteur de haillons en suédois…)
Ce n’est pas un aperçu descriptif, il n’y a pas de décryptage sur la manière d’agir des uns et des autres, sur les coutumes, les traditions, juste des faits. C’est peut-être de là que vient cette sensation d’un roman assez clinique, assez froid, car il y est très peu question d’émotion. Et c’est essentiellement par les émotions qu’on a la sensation de connaître les gens qui nous entourent.
J’ai l’impression que dans ce grand froid, il y a une économie de mots, de sentiments intenses, comme s’il fallait garder un maximum d’énergie pour juste rester en vie.
Tout au long de l’histoire, on marche aux côtés d’Anna. C’est elle le personnage principal. Sa mère aujourd’hui décédée était Sami. On comprend que celle-ci avait quitté son village au moment de son mariage et qu’Anna a, de fait, été peu en contact avec ses origines maternelles.
Dans une conversation avec un Japonais dans un bar, il pose à Anna la question suivante :
Si j’étais same moi-même ?
-Pas du tout. Enfin disons que ma mère l’était.
-Votre famille est dans l’élevage de rennes ?
-Ma grand-mère et ma tante. Un cousin et un oncle s’occupent du travail dans la montagne.
-Votre mère, elle a un costume d’ici ?
J’expliquai que ma mère était morte, mais que son vieux kolt (ndlr : costume traditionnel Sami) était sûrement suspendu quelque part dans la penderie à la maison, à Sundbyberg. Elle le revêtait à certaines occasions, quand nous étions petits.
Nous avions un peu honte d’elle. Lui interdisions de le porter à la fête de fin d’année de l’école. Dans le milieu où nous avons grandi, cela détonnait trop. Un quartier pavillonnaire à Sundbyberg n’a pas le même besoin de couleurs, de rubans, de bijoux et de châles en soie. Il n’y avait aucune nécessité à faire connaître par ses vêtements qui on était ou l’ampleur de sa richesse. A Sundbyberg, il y a d’autres façons de montrer quel rôle on joue dans la société
Sa mère s’appelait Anna Marja. A chaque fois qu’Anna rencontre un membre du peuple Sami, elle se présente comme la fille d’Anna Marja, la petite fille de Johvna (grand mère maternelle). Et à chaque fois, on lui dit qu’elle ressemble beaucoup à sa mère, voire même quelque chose comme, selon la traduction same, “Tu es ta mère”.
Tout le livre nous parle à demi-mots de la relation de la narratrice, Anna, avec ses origines. Et c’est passionnant de voir la transformation qui s’opère. Dans un premier temps, elle a du rejet envers ses racines. Puis, plus elle fait connaissance avec les membres de sa famille, plus elle ressent ce qui anime ces gens. Personne n’est chaleureux, personne n’a de grande conversation avec elle. Mais peu à peu, elle perçoit l’âme des Sames, sans qu’ils aient besoin de milliers de mots pour l’exprimer. Ils sont, simplement.
J’ai eu un petit coup de coeur pour la grand-mère qui la soigne suite à un accident, je vous offre le passage en question :
Nous mangeâmes une tartine de fromage dans la cuisine, et grand-mère examina mes blessures. Elle prit un sachet en papier dans le réfrigérateur et en sortit un comprimé qui semblait avoir été dosé pour un cheval.
Après un échange d’arguments, je parvins à négocier de n’en prendre que la moitié. Le comprimé avait un goût âcre de camphre ou d’antimite, je l’avalai avec du bouillon.
Le sachet en papier contenait un mélange hétéroclite de pilules de tailles et couleurs diverses. Visiblement, grand-mère choisissait en fonction de la taille. Plus on était malade, plus gros était le cachet qu’elle vous administrait.
Vous voyez, il n’y a pas de dialogue et pourtant, on entre dans la vie de tous ces gens, sans s’y attacher, sans indifférence non plus. Comme si l’auteur nous invitait à ne pas jeter au rebut ce qui nous constitue, nos origines, pour nous les approprier par petites touches, sans hystérie, sans folklore, depuis le centre de nous-même.
Je vous conseille vraiment ce livre, il nous parle sans mots, ce qui est très étrange pour un livre… Il nous fait voyager en nous. En tout cas, c’est l’effet qu’il m’a fait !
Merci Lars Pettersson pour ce beau roman qui nous conte l’Être Humain.